Emma Peters, nature et découverte

La chanteuse Emma Peters. © Elisa Parron

Repérée par ses reprises classieuses et dépouillées sur la Toile, Emma Peters, jeune artiste de vingt-cinq ans dévoile avec Dimanche un premier album aux allures de journal intime et dans lequel les morceaux reposent sur des humeurs intranquilles, un flow indolent et l'élasticité des ondulations de la bossa.

On a beau retourner la question dans tous les sens, l'incompréhension demeure. Comment les Victoires de la musique ont pu faire l'impasse cette année sur Emma Peters dans la catégorie Révélation féminine (retenue dans une liste de huit artistes à l'issue du premier tour de vote, elle n'a pas franchi la dernière marche) ?

Rendez-vous quasi-assuré pour la cérémonie l'an prochain puisque la "hype" s'est, entre-temps, définitivement emparée de celle qui incarne une sorte de renouveau avec un style brut, chill et intime. Une jeune fille issue de la génération "covers" et de la musique de chambre. Mises en écoute sur sa chaîne YouTube, ses reprises grand-écart allant de Magnolias for ever de Claude François à Jardin d'hiver de Henri Salvador en passant par Clandestina du rappeur Lartiste (le remix de sa version par un DJ a largement dépassé des streams à huit chiffres sur Spotify) étaient déjà annonciatrices de beaux lendemains.

Les dimanches

"C'était mon école. Un excellent moyen pour se montrer, se connaître et se perfectionner. Je n'ai jamais pris de cours de chant. Les miens, c'était les dimanches en m'enregistrant, me réécoutant et en postant". Si Juliette Gréco chantait Je hais les dimanches, ce n'est certainement pas le cas d'Emma Peters qui n'en finit plus de célébrer le jour dominical au point même de se le faire tatouer sur le bras gauche.

"Je n'ai pas réfléchi plus de deux minutes quand il a fallu choisir le titre de l'album. C'était mon jour de prise de parole sur les réseaux mais cela va encore au-delà de ça. Lorsque j'ai commencé à écrire mes propres chansons, je les enregistrais sur mon ordinateur dans un dossier que j'avais nommé 'dimanche soir'. Il n'y a rien à faire, j'aime tellement le mood du dimanche".

Vite comprendre aussi qu'il y a quelque chose d'assez nature et dénué de calcul chez elle. Sur la pochette de son disque, on la retrouve avec ses deux sœurs (dont Marie-Lou qu'on entend dans les chœurs du titre Le temps passe), son frère, un chien et un cheval, tous réunis dans la cour de la ferme familiale, à proximité de Senlis.

"C'est la seule photo du shooting où on n'a pas posé et qui a été prise en off. Ce n'était pas du tout un moment qui devait être officiel. Il y a une vraie symbolique car cela fait partie de mon histoire, de là où je viens et où je vais puiser mon énergie. De manière générale, je ne suis pas très à l'aise avec les photos et je ne me voyais pas avec ma tête en gros plan, ça ne me ressemble pas".

Emma Peters demeure trop viscéralement fanatique de musique pour embrasser un décorum de frime et de parasites. On la surprend à clamer sa passion pour Véronique Sanson, November Ultra, la guitare apprise dès l'âge de sept ans ainsi que ses inflexions jazzy et bossa, le partage de chansons avec son clan. Ou avouer sa volte-face au sujet du rap il y a quelques années. "On me l'avait mal vendu et j'en avais une image bête, c'est-à-dire pauvre en mélodies et riche en textes violents. J'y suis arrivée très tard et j'ai été scotchée par l’honnêteté du langage et la puissance des productions".

Alchimiste des états d'âme

Tout ego remisé aux objets perdus, il ne faut pas compter sur cette ancienne chargée de casting de l'émission Affaires conclues - poste qu'elle a quitté pendant le premier confinement - pour gommer ses gerçures et maquiller ses bosses. En ouverture d'album (Terrien) : "Souvent je me demande comment tourne la terre/J'ai besoin d'espace, je sais pas comment faire/Il faut que je me casse, il faut que je prenne l'air/J'ai trop d'angoisses, je voudrais les faire taire". Plus loin (Je mens) : "Carrure de rugbyman/Je me suis jamais battue, c'est sûr que je gagne/Le seul adversaire à ma taille/C'est mon cerveau quand il déraille".

En alchimiste des états d'âme et sans filtre, Emma Peters esquive autant les pirouettes métaphoriques que le second degré, et ne tente jamais d'arrondir les angles. "La paraphrase chez moi, ce n'est pas naturel. Je n'osais pas au départ employer un certain langage. Le jour où j'ai compris qu'il fallait que je m'émancipe de ces codes-là, cela a été assez libérateur".

Des doutes, des agitations anxieuses, des vrilles amoureuses alcoolisées, des émotions contradictoires. Et un morceau de rupture (Allez salut) offert par un Ben Mazué qui multiplie les élans de générosité à son égard. "Au moment de l'annonce de la sortie du disque, il m'appelle pour me féliciter pour la pochette et me proposer deux choses. D'une part, d'assurer les premières parties de sa série de Zénith (elle avait déjà fait celles de ses trois Folies Bergères, ndlr). Mais comme je suis aussi en tournée, je ne peux pas être disponible pour la totalité. Et d'autre part, d'inverser les rôles et d'ouvrir pour moi à la Maroquinerie, il y a une dizaine de jours. Vous auriez vu la tête des gens quand il s'est avancé avec sa guitare pour faire ses cinq chansons". Grande classe.  
 

Emma Peters Dimanche (Local) 2022
Instagram / Facebook / Twitter / Youtube