Jazz de Joe : Jonathan Butler

L'auteur-compositeur-interprète et guitariste sud-africain Jonathan Butler . © Raj Naik

Il aura fallu attendre 40 ans pour que le chanteur et guitariste sud-africain Jonathan Butler parvienne à exprimer la magnificence de ses racines ancestrales. Nourrie de jazz américain, sa musicalité soyeuse méritait l’âpreté d’un discours engagé pour retrouver son authenticité.

Ubuntu est un album abouti qui ne se noie pas dans une production trop formatée. Jonathan Butler a longtemps flirté avec la tentation de séduire un large auditoire. Certes, sa riche discographie atteste de son indéniable succès mais il cherchait, depuis quelques années, un moyen de se ressourcer, de faire jaillir ses convictions et la sève originelle de son inspiration.

C’est grâce au bassiste américain Marcus Miller que cet idéal artistique a pu se concrétiser. Amis de longue date, les deux maestros ont rapidement trouvé un terrain d’entente en collaborant sur ce projet qui devait impérativement avoir du sens. Jonathan Butler tenait à célébrer sa terre natale et à transmettre un message d’unité. Ubuntu (L’humanité) n’est pas un disque anodin. Il révèle les fêlures, les espoirs, la spiritualité d’un homme dont la destinée fut tumultueusement fascinante.

Sortir de l’Apartheid

Né en octobre 1961, Jonathan Butler n’aurait jamais dû briller dans le feu des projecteurs. Issu d’une famille pauvre, il grandit dans un faubourg insalubre de Cape Town, sans commodités, sans eau courante, sans électricité, en pleine ségrégation raciale. Pourtant, son tempérament juvénile lui permet d’affronter cette terrible situation. Il aide ses parents à survivre en participant aux travaux quotidiens, en leur fredonnant des airs traditionnels qu’il entend ici ou là et que sa mémoire retiendra longtemps. Il rêve évidemment d’un avenir meilleur et se voit musicien professionnel, mais l’Apartheid est alors l’un des obstacles majeurs à toute progression sociale. Il parvient cependant à susciter l’intérêt en adaptant des mélodies immortalisées par les Drifters, un groupe de Doo-Wop américain, qu’il écoute avec ferveur.

Il n’est qu’un jeune homme plein d’entrain et n’imagine pas encore que son don pour la musique va bientôt l’extirper de l’oppression constante imposée par les autorités contre la population noire. Progressivement, son nom circule dans les studios d’enregistrement. À sa grande surprise, il réussit à obtenir un premier contrat. Il devient l’adolescent surdoué que l’on aime acclamer. Ses premières apparitions publiques font sensation et sa notoriété croît rapidement. Il sent que le vent tourne et se laisse volontiers griser par les sollicitations.

Résilience

À 25 ans, son aventure musicale s’accélère quand il s’installe en Angleterre. Son talent et son énergie positive lui donnent des ailes. Il comprend que, de ce côté-ci de la planète, acquérir un statut est possible. Nous sommes au milieu des années 1980. Les capitales européennes entrent dans le concert des nations pour exiger la fin des exactions policières et la libération de Nelson Mandela, le plus vieux prisonnier politique détenu depuis près d’un quart de siècle dans les geôles sud-africaines.

Profondément concerné par ce combat pour l’égalité et la justice, Jonathan Butler se réfugie dans la prière et adopte l’attitude résiliente du prêcheur dont les mots choisis invitent à l’examen de conscience. En 1987, contre toute attente, l’une de ses chansons, intitulée Lies, fait sensation. Il est subitement une personnalité que l’on écoute ou que l’on critique. On loue ses prouesses mélodiques, mais on égratigne son image trop lisse. Qu’importe ! Son passé tortueux lui a appris à dépasser les commentaires outranciers, qu’ils soient bons ou mauvais.

Au fil du temps, Jonathan Butler voit son aura se développer et apprend que certaines de ses chansons accompagnent le silence combattif de "Madiba", désormais enfermé dans la prison de Pollsmoor en banlieue du Cap. Quelques années plus tard, il aura le privilège de rencontrer le président Mandela ainsi que l’archevêque Desmond Tutu avec lesquels il évoquera maintes fois l’esprit de résistance du peuple sud-africain.

Activisme

Ubuntu est le fruit de ce long cheminement qui a conduit Jonathan Butler des bidons-villes d’Athlone aux palais de la nation arc-en-ciel. Pour autant, la lutte continue… Dans ce dernier disque, l’activisme n’est pas loin. La chanson Our Voices Matter traduit, par exemple, l’agacement de l’auteur face au mutisme de ses contemporains quand de nouveaux drames racistes endeuillent des familles entières. L’assassinat de George Floyd en mai 2020 à Minneapolis fut l’événement tragique de trop ! Jonathan Butler ne pouvait se résoudre à rester muet devant un tel acte de violence gratuite. Voir ses petits-enfants manifester dans les rues américaines, constater le peu de réactions de ses homologues artistes, revivre l‘impunité des forces de l’ordre, tout cela faisait remonter des souvenirs de jeunesse trop pénibles pour ne pas s’indigner.

Chaque titre de l’album Ubuntu doit nous faire réfléchir. Le renfort, même discret, de Keb Mo et Stevie Wonder sur cet album lumineux valide ce message de paix et d’unité qui devient crucial alors que les velléités guerrières fragilisent la cohésion internationale humaniste. Jonathan Butler fait appel à notre cœur. Qu’il soit entendu !

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Jonathan Butler Ubuntu (Mack Avenue Records II) 2023