Juliette et ses "Chansons de là où l’œil se pose"

Juliette, 2023. © Juliette

Elle a de la gouaille et un sacré sens de la musique. Ses chansons affutées viennent de là où son "œil se pose", dit-elle. La fantaisiste Juliette, fidèle à son piano et à sa prose enlevée, revient avec un nouvel album, "Chansons de là où l’œil se pose", qui mêle rires et larmes, émotions poignantes et autodérision endiablée.

RFI Musique : Ce nouvel album commence par La house et la couette, une chanson de quatorze couplets, extrêmement drôle, où vous parlez des "chambres de batailles" et vous imaginez en "torero andalous" dans l’arène, mais "encornée par la housse". Comment une chanson comme celle-ci est-elle née ?
Juliette :
D’une constatation : tout le monde est d’accord, mettre une house dans une couette, c’est très chiant (Rires) C’est un sujet rigolo ! L’idée, c’est de le confronter à quelque chose qui n’a rien à voir et d’en faire quelque chose d’épique avec des références mythologiques à Hercule, Sisyphe, etc. Le comique, c’est de confronter la banalité bêbête à des références bibliques, mythologiques, etc. C’est surtout le traitement qui fait le second degré. On est parfois surpris par ce qu’on écrit, comme si quelqu’un d’autre était à la direction de l’écriture. Il faut garder cette spontanéité, mais ne pas y rester. C’est là où le travail d’écriture est très intéressant. "Sans travail le talent n’est rien qu’une sale manie", disait Brassens, je suis d’accord avec ça. Je crois à la vertu du travail.

Vous composez, écrivez et arrangez toutes vos chansons. Dans quel contexte avez-vous composé cet album ?
C’était une période assez drôle parce que c’étaient les confinements. J’ai la chance d’avoir ma résidence principale à la campagne, donc ce n’était pas invivable. Pendant le premier, j’en ai profité pour faire tout ce que je n’ai pas le temps de faire : jouer aux jeux vidéo, cuisiner pour des proches, faire des choses agréables, etc. On avait aussi préparé un spectacle avec l’orchestre de tango Silbando. On a réussi à faire 3 dates avant d’être reconfinés.  Le deuxième confinement étant plus violent. J’ai préféré écrire plutôt que de rester à ne rien faire. On ne savait pas du tout si on n'en sortirait ni quand. Je les ai écrites par amusement et pour m’occuper…

Le seigneur des mouches s’adresse à un enfant qui harcelait les autres à l’école. Avez-vous été victime de harcèlement scolaire ?
Pas du tout ! Je me suis construite comme une personne assez solide et résistante. Cela vient de ma mère qui me disait : "ce qu’on pense de toi, tu t’en fous".  Il faut dire aussi qu’à mon époque, ceux que j’ai pu croiser comme personnes nuisibles, leurs propos n’étaient pas démultipliés par l’énorme porte-voix que sont les réseaux sociaux, ça restait dans la cour d’école. Je ne condamne pas les réseaux sociaux. Il y a aussi des échanges de savoirs, des rencontres. Mais les réseaux sont sans limites. Un autre phénomène, c’est le confort de chez soi, ça ne viendrait à l’idée de personne de crier des insanités dans la rue, l’intimité donne l’idée d’être protégé !

Vous rendez hommage à une voiture du passé, la célèbre 2 Chevaux. Vous y chantez "La vie est courte pour aller vite". Que vous permet de prendre le temps ?
Complètement ! Je sais très bien ne rien faire. Je peux très bien rester en contemplation. Ce sont des temps importants. Petite, ma mère m’a laissée m’ennuyer. Quand je lui disais que je m’ennuyais, elle me répondait "coupe ta tête, fais-la rouler !" (rires) Je crois que c’est très important de prendre du temps pour rien et évidemment aussi pour les choses importantes : faire la cuisine pour des amis, avoir du temps sans limites. Et la petite promenade en 2 Chevaux, sans but ni itinéraire, quand on sait qu’on verra des belles choses, en fait partie !

La Perruque parle du deuil. Ce chemin de l’absence, pourquoi vouliez-vous le chanter ?
Parce que je suis à un âge où je commence à perdre des parents, des amis, avec parfois une grande injustice. Comme dans le texte de cette chanson, on y comprend que la personne n’avait pas 90 ans… C’est sans doute une relation amoureuse, on ne sait pas. Je voulais aussi aborder ce moment très étrange où la maladie se voit physiquement et où le regard des autres, mêlé d’inquiétude, devient insupportable, avec la pitié et parfois la peur de la contagion… En utilisant cet accessoire de beauté et ce qu’il peut cacher de terrible. Et puis je voulais aussi dire que "ce n’est que dans le cœur qu’on dresse les mausolées". Je suis assez contente de cette phrase. Mais je n’ai pas vécu cette situation, c’est de la compassion, je souffre avec.

Il est aussi question de marabout, de sortilèges (La lueur dans l’œil, La housse et la couette, Dans le marc de café), de Satan dans Les litanies du diable. D’où vous vient cet imaginaire "des nombres, de la lune et des ombres" ?
Je pense que ça me vient du goût du vocabulaire "sortilège"… C'est un beau mot.  Je suis très sensible aux réponses des questions, qu’elles soient spirituelles, religieuses ou magiques, aux choses qui ne s’expliquent pas. C’est un chant d’exploration de l’imaginaire qui me fascine et qui parle à beaucoup de monde. Les choses qu’on n'explique pas, un regard, l’impression de magie entre les gens. On y est toujours et tous confrontés dans la vie. Mais moi, je n’ai pas de croyances particulières. Pour la chanson Dans le marc de café, au début, j’avais envie de raconter l’histoire d’une voyante qui lisait dans tout : le marc de café, la cendre des cendriers, les entrailles de poisson, etc. (Sourire).

Votre piano et vous serez à la Cigale très bientôt. Qu’est-ce qui vous ravit tant sur scène ?
Je ne saurai dire… C’est presque un besoin évident. Maintenant, c’est une énorme partie de ma vie. J’ai l’impression de rentrer chez moi en entrant sur scène. Je me plais à voir des gens en face, c’est vital. J’aurais une lassitude de plein de choses, mais pas de ça. C’est des questions qu’on pense en prenant de l’âge et des rhumatismes dans les doigts. Quand j’arrêterai, ça sera difficile dans mon existence.

Juliette Chansons de là où l’œil se pose (Barclay) 2023
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En concert à La Cigale à Paris le 6 juin 2023.