La Caravane Passe, un bilan de la vingtaine
Avec Hôtel Karavan, le groupe La Caravane Passe revisite son parcours en compagnie d’une pléiade d’invités. Le leader de cette joyeuse bande, Toma Feterman, revient sur l’identité mélangée de son groupe et une vie de rencontres musicales placée sous le signe de la musique tzigane, mais pas que...
L’entretien est sur le point de se terminer, il se prolonge un peu. Toma Feterman fait le tour des sujets que l’on n’aura pas abordés. Parmi ces thèmes, il y a les "instruments", ces dizaines d’instruments de musique dont il a appris à jouer et qui peuplent son salon. Le chanteur de La Caravane Passe se saisit d’une clarinette turque, puis d’une longue flûte roumaine toute droite, sortie d’un pot dans lequel les flûtes sont rangées comme des parapluies. Il pose ses mains sur une darbouka, ce tambour dont le son vous amène directement dans le monde arabe, et sort de son étui un riq, un tambourin avec des petites cymbales venu d’Égypte.
Il y a aussi, posé pas loin de la chaîne hi-fi et de l’ordinateur, ce qu’on devine être une guitare, un Moog dans sa caisse et un micro. Un tout petit aperçu de ce que le musicien a ramené de ses voyages. "Avant le confinement, on avait passé seulement deux fois dix jours à la maison en vingt ans", constate-t-il. C’est au moment du Covid que ce groupe nomade s’est sédentarisé et qu’il a repris des morceaux clés de son répertoire à la manière d’une fanfare pour des vidéos postées sur internet. Hôtel Karavan, ce best-of où la "Caravane" revisite ses titres phares avec une vingtaine d’invités, est né de cette idée.
L’humour et la mélancolie
Sanseverino, La Rue Kétanou, Tryo, les frangins toulousains Mouss & Hakim, l’Amsterdam Klezmer Band et une belle brochette de musiciens qui évoluent dans les musiques métisses… À l’image d’un Zizin Moretto, revu dans une version reggae avec la Brésilienne Flavia Coelho, les chansons trouvent "une nouvelle vie" grâce à ces collaborations. "Souvent, ce sont les invités qui ont choisi leurs chansons, des morceaux qui sont passés complètement à la trappe ou que l’on n’a jamais joués en concert", note Toma Feterman.
Salade tomate oignons qui a lancé le groupe ou son tube, T’as la touche manouche, sont bel et bien là. Mais il y a plus de place pour des morceaux un peu oubliés (J’rame dans le métro, Exode exotique…). Partagé avec la chanteuse et multi-instrumentiste, Oriane Lacaille, et l’accordéoniste Fixi, l’inédit insulaire appelle à prendre le large dans un monde en guerre. Il s’agit d’une ritournelle au ukulélé qui puise aussi bien dans le maloya, la musique de la Réunion, que dans une chanson française plus conventionnelle. Si le ton reste joyeux et les sonorités cuivrées, se dessine aussi une écriture où l’allégresse n’est jamais très loin des larmes.
Toma Feterman puise-t-il cette drôlerie teintée de mélancolie dans des origines juives ashkénazes disséminées entre la Pologne et la Roumanie ? "Probablement ! L’Ashkénaze est un être qui se plaint tout le temps parce qu’il porte le poids du monde sur ses épaules, mais il sait aussi rire de cette situation. C’est ce qui fait que l’Ashkénaze survit, sourit le chanteur. Mais c’est aussi le cas des peuples slaves ou en Algérie. Les peuples qui ont souffert pratiquent énormément l’humour et c’est la meilleure des médecines !"
Rachid Taha, parrain du groupe
Ce n’est certainement pas pour rien si La Caravane Passe a été parrainée par Rachid Taha (1958 - 2018), un autre chanteur à l’humour ravageur. Présent sur les chansons Baba ou Perdu ta langue, sa mémoire reste vive. "Faire de la musique avec Rachid, c’était entrer dans ce qu’on appelle le 'canal rachidien', se rappelle Toma Feterman. Rachid était cette espèce d’homme surhumain qui captait un nombre de choses incroyables du monde qui l’entoure. Quand on bossait à ses côtés, on était 24 heures sur 24 avec lui ! J’ai travaillé durant deux ans et demi sur son dernier album, des années durant lesquelles je tournais à l’étranger. Il m’arrivait de parler de Rachid en Turquie ou au Japon. Systématiquement, je recevais un SMS de lui derrière qui me disait : 'T’es où Habibi ? (1)' C’était métaphysique..."
Le groupe venu de l’Est parisien qui joue avec les musiques traditionnelles d’Europe de l’Est a fait un sacré bout de chemin en 23 ans. Soudé autour de Toma Feterman - aussi devenu John Lénine, au sein du duo parodique Soviet Suprem - et de son bras droit, Olivier Llugany, La Caravane Passe n’était pas un groupe de copains à l’origine, mais plutôt des musiciens qui se sont retrouvés autour d’un répertoire acoustique pour faire la tournée dans les bars. Il s’est professionnalisé en jouant dans les foyers Emmaüs devant un public de SDF et de migrants, et s’est découvert en voyageant partout dans le monde. "On a fait connaissance sans a priori. On n’est jamais devenus des amis, mais on est devenu des cousins. Ce qui est pire", dit Toma Feterman, regard toujours malicieux.
Après ce point d’étape, l’éclectique Caravane Passe va continuer sa route, du XXe arrondissement de Paris jusqu’en Bulgarie, au Liban ou en Irak, et poursuivre ses rencontres. On ne doute pas qu’elles seront encore nombreuses et fructueuses.
La Caravane Passe Hôtel Karavan (Studio Tito) 2023
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