Blaiz Fayah laisse entrevoir le dancehall shatta de demain

Blaiz Fayah. © David Delaplace

Populaire en Amérique latine comme dans l’océan Indien, la musique de Blaiz Fayah prolonge et actualise l’esprit du dancehall jamaïcain, mi-suggestif mi-sulfureux. Auteur d’un nouvel album baptisé Mad Ting 3, le productif chanteur et musicien français entrouvre des perspectives musicales prometteuses.

Le territoire de Blaiz Fayah ne cesse de s’agrandir. Et pas seulement celui, virtuel, d’internet et des réseaux sociaux où ses chansons se propagent tous azimuts, au-delà du cercle déjà initié au shatta. Ces dernières semaines, il a joué aux Pays-Bas, en Suisse et à La Réunion, où il s’était déjà rendu en début d’année.

Sa popularité sur les îles de l’océan Indien est en train de rejoindre celle qu’il a de l’autre côté de l’Atlantique dans certains pays d’Amérique latine. Voire même de la dépasser, quand il fait le récit de son concert aux Seychelles en octobre : dès la sortie de l’avion, il comprend qu’un traitement particulier lui est réservé ; chacun, du bagagiste au douanier en passant par le policier, quitte son poste pour être pris en photo avec lui... Avant de découvrir qu’il est attendu de pied ferme par les télés locales un peu plus loin et que tout l’archipel est au courant de sa présence !

L’organisateur pensait avoir 2500 spectateurs ; ce sera le double. “C’est la première fois où, quand j’arrive sur scène, je n’entends rien à part les cris”, dit-il, à la fois amusé et ému, quand il évoque ce “show de malade” qu’il y a donné.

La couleur du shatta

Son nouvel album Mad Ting 3, dont on comprend qu’il s’inscrit dans une forme de continuité avec les précédents, possède une densité rare. Aucune trace de remplissage, qui affaiblit bon nombre de projets similaires. Il faut dire que pour Antony – le prénom de l’artiste à l’état civil – “chaque son est un single potentiel”. Et dans la réalité, cela concerne tout de même huit des quinze titres qu’il a rassemblés !

Tout est fait pour privilégier l’efficacité, à commencer par un format court (rarement plus de deux minutes et trente secondes) correspondant au standard du genre et de la génération qui l’écoute. “Si ça dure, les gens décrochent”, assure le chanteur musicien qui préfère “proposer différentes ambiances sur plusieurs morceaux plutôt que faire un troisième couplet que personne n’écoutera”.

Surtout, il y a la “couleur” du shatta, ce sous-genre du dancehall jamaïcain cultivé aujourd’hui en Martinique et dont il maitrise les codes : des basses programmées, lourdes, profondes, qui remplissent l’espace, un côté épuré et “un peu sale”, sur un BPM “pas trop élevé”. Ce qui le distingue entre autres du bouyon, autre style “plus accéléré” avec lequel il est parfois confondu.

Nouveaux horizons

La recette qu’il a peaufinée au fil des années en studio, lui qui a grandi en côtoyant le monde de la musique, n’empêche pas une forme de diversité. Salutaire pour éviter le piège du côté répétitif. Entre le tonique Discreet et le suave Come, susurré pour en être davantage sexy, il y a aussi les titres sur lesquels il a partagé le micro. Jusqu’alors, Blaiz Fayah était plutôt réticent à proposer des featurings, mais il y a vu le moyen de donner “plus de relief” aux morceaux concernés.

Ses invités ? Le Jamaïcain Busy Signal, une référence, le Guyanais Jahyanai avec lequel il note “une proximité vocale”, ou encore la chanteuse Nesly pour un titre aux accents zouk. D’autres nuances exogènes affleurent ici ou là : carnaval avec les steel pans sur Cock Up, andine avec la flute sur Tikitak, et surtout kompa haïtien (dans sa version gouyad) pour Follow, dont l’originalité ouvre de nouveaux horizons réjouissants au Français. “C’est aussi ce qui va me permettre de garder une certaine position dans ce milieu”, explique-t-il, conscient que sa situation peut être éphémère et qu’il peut être salutaire d’innover.

S’il se félicite du développement de son activité en live, y compris dans son propre pays où désormais, il est programmé dans d’importants festivals, le jeune Français en a aussi perçu l’impact potentiel sur sa créativité artistique. Le changement qu’il annonce, en expliquant que Mad Ting 3 viendra “conclure” une série dont le premier volet était sorti en 2020, concerne d’abord “la manière de travailler” : impossible pour lui, au regard des sollicitations, de continuer ce “flux tendu” de morceaux sortis au fil de l’eau.

“Je suis arrivé à un moment où il faut modifier deux ou trois choses”, explique le chanteur, qui tient à s’affranchir autant que possible des pesanteurs de l’industrie musicale pour conserver la maitrise de sa musique et “garder l’étincelle”. Celle qui confère une forme de légèreté à son répertoire et masque habilement le travail de production, aussi précis que méticuleux.

Blaiz Fayah, Mad Ting 3 (Creepy Music) 2023.

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