Jeanne Balibar : Portrait de l’actrice en chanteuse
Jeanne Balibar interprète D’ici là tout l’été. Un cinquième album pour la divine comédienne à la voix suave, incarnation du chic-intello à la française. Treize titres savoureux et plein d’émotions, composés par Cléa Vincent. Entre variété et disco-pop, c’est une douceur acidulée, dans laquelle l’actrice s’est glissée.
Lorsqu’on rencontre la gracile Jeanne Balibar chez elle, un soir de juin, elle rentre à peine d’un cours de danse en préparation de son prochain clip, pour lequel elle apprend une chorégraphie, extraite d’un film avec Gene Kelly et Rita Hayworth. Cela tombe bien, on aimerait faire son portrait à travers le cinéma et le théâtre. Parler de l’actrice en chanteuse, de comment la première activité nourrit l’autre. Elle nous sert un verre, allume une cigarette et acquiesce. On la sent précise, attentive.
D’ici là tout l’été a-t-il été imaginé comme un film ? "Je ne l’ai pas imaginé en fait", raconte Jeanne Balibar. Tout est parti de sa rencontre avec Cléa Vincent. "Elle est venue ici, on a pris un café, elle a parlé tout le temps, elle m’a raconté plein de choses sur elle. Et quand elle a passé la porte pour repartir, j’étais lancée ! Les bribes éparses que j’avais, notées ou pas, se sont mises en place. On s’est retrouvées trois jours plus tard devant un piano, on a fait dix chansons en cinq jours ! Puis trois autres, en attendant d’entrer en studio".
Écriture visuelle
Ces chansons, teintées de pop tropicale, de disco ou plus épurées, voire carrément rock (Les Fantômes où l’on retrouve Vincent Peirani à l’accordéon) sont éclectiques et cinématographiques. Ainsi, par exemple, alors que Cet homme qui pleure dresse le portrait d’un mâle alpha qui broie du noir, D’ici là tout l’été est pleine de sensualité, Les Fantômes s’écoute comme une succession de souvenirs musicaux "fantômes" d’un amour perdu, quant à June Bilobar, elle y laisse s’exprimer une alter ego imaginaire, inconséquente, à la voix un brin horripilante. Tandis que sur Absence, elle évoque, déchirante, la mort imminente d’un ami sur une musique disco. Une tension tragi-comique (les deux grands genres du théâtre, ndlr) à laquelle elle tient beaucoup.
Treize chansons, autant d’histoires. Une influence qui vient peut-être, en partie, du cinéma. "Je cherche quelque chose d’assez quotidien dans mon écriture et le cinéma, c'est quand même un art du quotidien. Même les films d’époque, c’est un art du détail du quotidien." Mais pourquoi cet attrait pour la chanson ? Et ne viendrait-il pas de ses rôles ?
En effet, Jeanne Balibar joue souvent des femmes qui chantent. Le bal des actrices de Maïwenn et Barbara (pour lequel elle remporta un César) de Mathieu Amalric en sont des illustrations fulgurantes. Mais pas seulement. Elle sourit. "J’ai toujours adoré et écouté toutes sortes de musique depuis ma toute petite enfance. Et puis les films dans lesquels chantent des femmes, les figures de chanteuse. Et le format chanson : trois minutes, trois minutes et demie. C’est une forme géniale qui permet de raconter d’autres choses que le théâtre et le cinéma".
La comédienne adore se produire en concert. "C’est tellement merveilleux de pouvoir prendre appui sur la musique, de ne pas devoir la créer tout seul. D’être tous ensemble avec les musiciens, dans la même totalité, dans le même rythme. C’est une expérience qu’on n’a pas comme acteur. L’autre est toujours dans un autre rythme".
Des actrices et des chanteuses
Alors pourquoi un métier a-t-il pris le pas sur l’autre ? "J’ai appris le métier d’actrice, j’ai fait le Cours Florent, le Conservatoire. Chanteuse, je fais ça comme ça me vient". Cette voix, si particulière, suave, un peu traînante, qui chante déjà lorsqu’elle joue au cinéma, a des accents qui rappellent parfois d'autres femmes. Jeanne Moreau (l’émouvant Encore ! Encore ! exaltation jubilatoire de l’enfance), Brigitte Fontaine (June Bilobar) ou Barbara (L’appartement témoin). Alors, sa voix d’où vient-elle ? "Mystère et bout de bois ! Ma voix surprenait déjà les gens quand j’étais petite. C’était la voix de maintenant, moins la cigarette".
A-t-elle été influencée par d’autres ? "Bien sûr, il y a une part d’identification à des figures qui nous infusent sans qu’on s’en rende compte. J’en ai plein, qui vont de Bernadette Lafont à Fanny Ardant en passant par Delphine Seyrig et Jeanne Moreau. Mais les actrices ne doivent pas avoir une voix fabriquée. Je n’avais pas envie de travailler ma voix tant que ça, j’ai besoin d’un mode d’expression plus directe".
Cette expression, elle l’emploie de façon très personnelle. Ainsi JTM, c’est la tuile, déclaration d’amour pleine de fulgurances et de peurs… "Au lieu de l’océan des amants, ta mer d’huile. Au loin toutes leurs vallées variées, ici le soir, mon amour notre tour d’ivoire". "Je suis assez fière de ces paroles !", nous confie Jeanne Balibar, rire mutin et regard grave. Un paradoxe à son image.
Jeanne Balibar, D'ici là, tout l'été (Midnight Special Records) 2023
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