Ibeyi, sons d'un nouveau Cuba à New York

Le duo franco-cubain Ibeyi, sur la scène du festival SummerStage à New York, le 2 août 2023. © RFI / Michaël Oliveira Da Costa

De passage à New York pour un concert à Central Park, le duo des sœurs jumelle Lisa-Kaindé et Naomi Diaz s’est produit dans une ville qui a un lien fort avec Cuba, la terre d’origine de leur père, le célèbre percussionniste Anga Diaz. À la croisée des chemins entre l’Amérique et leur Cuba cher à leur cœur, Ibeyi a donné un spectacle aux multiples saveurs jazz et latines devant une foule conquise par les sons des deux Parisiennes. Reportage.

 

À quelques heures de leur passage sur scène, le duo est assis sur un banc au croisement de la 72e rue et de la cinquième avenue, l’une des multiples entrées du plus célèbre parc du monde, Central Park. Les deux sœurs ont le sourire, bavardent avec des passants et profitent du soleil d’août de la ville la plus multiculturelle au monde.

Quelques fans les reconnaissent et échangent avec elle. Le duo franco-cubain Ibeyi est l’une des têtes d’affiche du festival SummerStage, le plus grand de l’année en ville, qui fait vibrer la Grosse Pomme en organisant des concerts dans des lieux mythiques comme Central Park, Flushing Meadows dans le Queens et le Brooklyn Bridge, durant tout l’été. Des artistes comme Regina Spektor, le célèbre rappeur Rakim mais aussi Kool and the Gang viennent faire vibrer les locaux, mais aussi les très nombreux touristes qui peuvent profiter de cette centaine de concerts gratuits. 

"C’est une initiative populaire, à la portée de tous, car les concerts sont gratuits, donc on en profite ! Le programme est alléchant, et lorsque que l’on a vu qu’Ibeyi était au programme, on n’a pas hésité à prendre notre soirée pour les voir dans un cadre aussi splendide que Central Park" sourit Maria, fille de Cubains installés dans le New Jersey et qui a vécu à Paris pour ses études de lettres.

Une scène en forme d’arche posée entre les arbres, de la verdure à perte de vue en plein milieu de Manhattan, et un climat idéal : le décor est posé pour le duo franco-cubain, qui régale ses fans, et séduits ceux qui ne connaissent pas les artistes, dont Joana, grande adepte de sons latinos et qui est venue avec un ami, Pedro, qui voulait découvrir les filles d’Anga Diaz. "Leur père m’a marqué à vie, car c’est grâce à une rencontre avec lui, il y a quasiment 30 ans, que j’ai commencé à apprendre à jouer sur des congas, et cela a changé ma vie" sourit-il, avant d’ajouter : "je viens de la partie Est d’Harlem, le Spanish Harlem, où Celia Cruz, Tito Puente et Ray Santos ont grandi, et on n’a pas trop le choix de faire ce que l’on veut (rires), j’ai appris à jouer des congas après ma rencontre avec Anga, et ça m’a évité de trainer dans la rue et d’avoir des problèmes. Ce sont les filles de l’homme qui m’a sauvé la vie ! (Rires)".

Le concert démarre avec la présence d’un bon millier de personnes, qui ressent toute l’énergie contagieuse de Lisa-Kaindé et Naomi, qui se donnent à fond durant quasiment une heure quinze, régalant la foule avec leurs classiques Me VoyRecurring dream, ainsi que des titres de leur dernier album, Spell 31, dont Sister 2 sister et Made of Gold.

Les fans sont coblés, et ceux qui les découvrent sont sous le charme. "Pour être honnête avec vous, c’est LA découverte de l’année pour moi, et je vais assister à plus de 50 concerts par an, c’est ma passion !" sourit Matthew, tombé sous le charme du duo et de leur créativité, qui selon lui, "est un mélange subtil de jazz très suave, avec une touche latine et les références au yoruba qui leur donne une dimension, une présence spirituelle assez unique et qui apaise l’âme. C’est une expérience unique que j’ai vécue. Elles vivent la musique comme elles l’aiment. Elles ne font qu’un avec leur musique et leur monde, c’est assez fascinant et vraiment très rare chez les artistes de nos jours qui ont souvent un discours formaté, une présence basique et sans saveur", ajoute-t-il. 

Un hommage à leur père, dans un New York à très fort accent cubain 

Au milieu d’une foule très diverse, des jeunes et des moins jeunes, des Latinos, mais aussi des Afro-américains, on retrouve également des amoureux d’Anga Diaz, le père des jumelles, qui avait marqué de son empreinte non seulement la scène latina de New York grâce à ses collaborations avec Afro-Cuban All Star, Omar Sosa, et Irakere, mais aussi la sphère hyper compétitive de la musique au pays de l’Oncle Sam, en remportant le Grammy Award du meilleur album Jazz Latino avec l’album Habana de Roy Hargrove en 1998.

"Voir ses deux filles, ça nous rappelle Anga, elles dégagent la même énergie que lui, c’est juste impressionnant", précise Royanta Davis, native d’Harlem et grande admiratrice du chef du clan Diaz, subitement disparu en 2006 en Espagne. "Elles ont leur propre identité, mais elles rendent hommage à leur père par leur art, et je trouve que c’est la plus belle forme de montrer son amour à quelqu’un. Je suis sûr que de là-haut, il doit être tellement fier d’elles" en pointant son doigt vers le ciel. 

L’esprit d’Anga Diaz est présent ici, et Lisa-Kaindé ressent une émotion toujours particulière lorsqu’elle vient jouer à New York, avec en toile de fond le Cuba de son père, le Cuba de son cœur. "C’est un endroit très spécial, c’est certain, car on a un peu de Cuba ici, et le fait que mon père ait autant travaillé avec des artistes qui ont brillé ici, ça donne une saveur particulière à nos spectacles dans cette ville", souligne-t-elle, avant d’ajouter "l’énergie que dégage le public ici est assez unique, car ce sont des gens curieux de nature, qui veulent toujours apprendre et pour ceux qui nous ne connaissent pas, veulent en savoir plus, dansent, partagent à fond les concerts avec nous. C’est très intéressant en termes d’expérience humaine de partager, de vivre un concert dans cette partie de la planète".

La mégalopole multiculturelle par excellence plait également au duo, qui adore jouer devant un public diversifié, aux profils variés qui forment le visage de New York. "Cette diversité, c’est un réel bonheur, c’est superbe de voir que des gens qui viennent d’un peu partout dans le monde vivent dans une même ville, mais aussi viennent nous voir et profitent d’un concert pour se mélanger et apprendre sur les autres", estime Lisa-Kaindé, "avec ma sœur, on fait aussi de la musique pour rapprocher les gens, pour unir dans une société qui pousse de plus en plus à la division, à la tension entre les gens"

Le public apprécie le flow des deux jeunes femmes, et plusieurs "Que Viva Cuba !" viennent donner le sourire à une bonne partie de la foule présente. Le spectacle se conclut et les applaudissements d’une foule conquise par Ibeyi sont très fournis et prolongés, la bonne humeur et le sentiment d’avoir profité d’un moment unique avec un duo d’artistes original dominent.

"Sincèrement, je vais continuer à écouter leur musique, je vais les suivre de près et j’ai déjà téléchargé tous leurs albums sur mon téléphone dès la fin du concert !" sourit Ariana, une jeune étudiante en musique à la célèbre Julliard School, sur le campus de Columbia University, "c’est le genre d’artistes qui vous fait voir les choses autrement, et leur authenticité est très inspirante. Elles marquent les esprits, c’est clair !".

Le duo quitte la scène et conclut également, avec ce concert, leur tournée mondiale, boucle la boucle après de longs mois sur la route et dans les avions aux quatre coins de la planète. "New York, c’est l’endroit parfait pour terminer notre tournée, et on a le sentiment du devoir accompli. C’est génial de venir ici, et on a vraiment qu’une hâte, c’est de revenir et de passer de nouveau un beau moment avec les New-Yorkais" conclut Lisa-Kaindé, comblée. 

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