Ichon, ovni du rap game

L'artiste français Ichon. © Nicolas Delorme

Artiste atypique, parfois rappeur mais surtout chanteur, Ichon revient sur disque avec Kassessa et sur scène à l’Olympia. Portrait d’un alien urbain.

Il est apparu dans le rap game avec ce look improbable d’un Mickey aux huit oreilles et ce nom qui fait rire quand on le prononce : Ichon. Si ses débuts ont été semblables à ceux de nombre de ses pairs, on sentait dès ses premières rimes que cet artiste était atypique et capable d’aller au-delà de la rime en stock, autotunée ou pas.  

"Ichon arrive d’un collectif rap parisien, Bon Gamin (qui compte également dans ses rangs le rappeur Loveni et le beatmaker Myth Syzer, ndr), et je pense qu’il a été frustré que le monde du rap ne parle pas assez de lui. Là, il s’est écarté du rap pour livrer une pop très actuelle. Sa pop est efficace alors qu’en tant que rappeur, il était moins séduisant". Une opinion livrée par Mehdi Maizi, "boss du hip-hop" chez Apple Music et fin connaisseur du rap contemporain.

De fait, le nouveau projet d’Ichon, né Yann-Wilfred Bella Ola à Montreuil en 1990, s’éloigne à grandes enjambées du rap français actuel. Les 14 morceaux de Kassessa sont en effet dans leur majorité des titres pop, et c’est clairement un format qui lui convient mieux que le rap hardcore.

Du style et des messages

La carrière d’Ichon démarre à l’âge de huit ans : il écrit des chansons pour séduire les filles, mais aussi pour se faire pardonner ses bêtises par ses parents. Une fois arrivé aux années collège, Yann fait une fixette sur les poitrines féminines… Et hérite du surnom "Yannichon". Un sobriquet qu’il assume de moins en moins au fil du temps et qui laisse la place à Ichon quand il se lance dans le son avec sa première mixtape Cyclique en 2014. Repéré dans la rue par des agences de mannequins, il a défilé pour Margiela et d’autres marques prestigieuses, et son look atypique a été vu en couverture du magazine de mode hyper hype, GQ.

À fond dans la hype ? Oui mais pas seulement : même s’il est capable de donner une interview dans un bain moussant ou de multiplier les coupes de cheveux excentriques, il n’oublie pas de travailler son style vocal et enchaine les projets. En 2016, le EP #FDP fait dans la violence verbale, un essai pas toujours concluant où l’on trouve des rimes qu’on préfère oublier telles que "Y’a pas que la drogue qui est dure dans le caleçon" (Moktar 2).

"J’ai toujours voulu porter un message", déclarait Ichon à Mehdi en 2020 dans son émission Le Code, évoquant son clip musclé de FDP, où il incarnait un homme tabassé par un flic lors d’une garde à vue qui se révolte en rendant la violence qu’il a subi. Des images très dures, du sang et des mutilations, mais pour autant Ichon n’est pas un adepte des formules lapidaires style ACAB ou CRS/SS : "Je suis plus pour la non-violence et l’échange, ce clip racontait que des deux côtés, il y avait une incapacité à discuter".

Mais Ichon évolue : il loue la méthode Coué en 2017 avec le très positiviste Il suffit de le faire, suivi en 2020 par les 15 titres de Pour de vrai, où il duette une nouvelle fois avec Loveni, son ami du collectif Bon Gamin, sur Noir ou blanc. L’année suivante, il livre Encore + pour de vraiMélange, en duo avec la chanteuse Yseult, est accompagné d’un clip sensuel qui l’éloigne encore un peu plus de la violence des débuts. Cette fois c’est sûr, Ichon est prêt pour Kassessa, qu’on oserait presque appeler "album de la maturité" si le terme n’était pas si dévalué.

Mal de vivre

Kassessa, le morceau qui donne son titre à l’album, fait un clin d’œil au Soul Makossa de Manu Dibango et s’impose comme la grande réussite de cet album avec un beat synthétique qui s’inspire du funk, porté par la voix d’Ichon magnifiée par quelques logiciels. Deuxième morceau majeur, le single Malabar, aux lyrics à la fois touchants et brutaux : "J’vais faire un tour, j’vais rentrer tard/ Je sais pas où je vais, on va voir/ J’suis trop touché, j’ai la rage/ Depuis l’époque des malabars", comme le Mistral gagnant d’une autre génération désenchantée.

 

Malabar retrouve cette tentation spatiale du hip-hop des années 1980, quand les astronautes des frontières soniques étaient Jonzun Crew ou Newcleus, quand Planet Rock redéfinissait une nouvelle fois les règles sans cesse changeantes du game. Une chanson portée par un clip d’apparence artisanale, logique car il est extrait d’un livestream de 45 minutes durant lequel Ichon déambule à Paris près du canal Saint-Martin, muni d’une paire d’ailes mécaniques dont les plumes sont des pages blanches, comme un écho au texte éponyme qui vient clore l’album. Un exploit qui fait penser à une version longue du clip en plan-séquence de Massive Attack, Unfinished Sympathy. Dans la vidéo de Souvent, l’autre single, Ichon/Icare s’est brûlé les ailes et on le retrouve ensanglanté au pied d’un HLM, comme un ange déchu.

Ichon n’est pas bien dans sa peau et dissémine au fil des 14 chansons de l’album son mal de vivre, tout en gardant une certaine élégance. "J’ai perdu confiance depuis mon enfance" dans La Vérité, "J’ai fait des beaux rêves de mes névroses" dans Mourir en cendres, "Souvent je me déteste/ La dépression me fait danser/ Soit je me bute, soit je me laisse m’envoler" dans Souvent, autant d’indices d’une saudade électronique enrobée dans des productions machinales taillées sur mesure par Loubenski et Max Baby, principaux artisans du son Ichon. Ce nouvel album réussit à atteindre le but qu’il s’était fixé lors de la sortie de sa première mixtape : faire un disque que sa grand-mère puisse écouter.

"J’aime quand ça tape", se plait à affirmer l’artiste. Kassessa tape fort, mais laisse aussi de la place pour la douceur. Finalement, c’est peut-être ça, la maturité.

Ichon, Kassessa (911/The Orchard) 2023

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En concert le 16 novembre à L’Olympia à Paris.