Marie-Paule Belle, double facette

Pochette de l'album "Un soir entre mille" de Marie Paule Belle, 2023 © Panthéon, Universal

Retour gagnant à la fois scénique et discographique pour celle dont le talent ne résume pas uniquement à la fantaisie malicieuse du titre La Parisienne. La preuve avec Un soir entre mille, album de chansons originales en piano-voix, douze ans après le dernier, traversé par une fibre nostalgique et paré d’une grande élégance.

RFI Musique : Entre la pandémie et la maladie qui vous a frappée l’an dernier, imaginiez-vous remonter sur scène ?
Marie-Paule Belle :
Les gens ont patienté pendant quatre ans à la suite de ces annulations. C’est du délire ! Beaucoup pensaient que je ne serais plus là pour chanter. Moi aussi, d’ailleurs. J’avais des métastases du cou jusqu’à ventre. Partout, c’était noir au scanner. J’en ai encore un peu, mais je me soigne. Dix dates (au théâtre de Passy début janvier, NDLR) dont les derniers récitals qui ont duré deux heures. Au début, j’avais tellement la trouille que j’assurais. Je ne délayais pas trop, n’improvisais pas. J’étais beaucoup plus drôle à la fin.

Vous êtes-vous étonnée aussi bien physiquement qu’artistiquement ?
C’est un répertoire qui s’étend sur cinquante-quatre ans. Dans ma tête, je n’ai pas mon âge et seul le corps me le rappelle. J’ai fini assez fatiguée, mais j’ai tenu le coup grâce aux perfusions de cortisone quotidiennes. Mentalement, j’étais prête depuis longtemps. J’ai répété sans cesse avec cet objectif précis. Je suis une paresseuse. Mais quand je dois travailler, j’y vais à fond au point d’être tatillonne et exigeante. J’aime dépasser mes limites et j’étais déjà comme ça en étant petite. J’attends le dernier moment pour plonger.

Avez-vous peur de mourir ?
Non. Je pense que c’est mieux de l’autre côté, qu’on est plus heureux parce qu’on est dans une lumière d’amour absolu. Ce qui me fait peur, c’est de souffrir. D’une part, après ce que je viens d’endurer, je vois que je ne suis pas douillette. Et d’autre part, je suis très croyante bien que je ne pratique plus. Je crois à la force de la prière et il faut savoir prendre conscience des privilèges et de la force de ce qu’on a. Cela évite la jalousie, l’envie.

La configuration piano-voix est-elle celle qui vous sied le mieux ?
Je suis toute nue. J’ai chanté avec des musiciens et pas des moindres comme Roland Romanelli ou Serge Perathoner pendant vingt-cinq ans. Au bout d’un moment, j’en ai eu marre de faire les foires, les stades de foot, la Fête de l’Huma sous la pluie ou les 14 juillets avec des pétards. C’est grâce à William Sheller qui venait d’expérimenter le piano-voix parce que ses musiciens étaient coincés à la frontière. Le carton de son titre Un homme heureux est né de cette manière. William et moi faisions des fêtes ensemble, on jouait aussi à quatre mains pour faire danser sa mère et les copains. Alors que je lui faisais écouter mes chansons qui allaient sortir, il me conseille d’être seule au piano. J’ai toujours eu des complexes à ce niveau-là parce que je n’ai pas fait le Conservatoire. Donc William me dit : "Comme Barbara, il n’y a que toi qui peux trouver les harmonies adéquates. C’est une respiration qui t’est personnelle". Et il ajoute cette phrase que je n’oublierai jamais : "Tu auras le plus grand trac de ta vie, mais aussi la plus grande liberté". Depuis 1994, je ne fais qu’exclusivement du piano-voix.

Au-delà du fait d’avoir revisité son répertoire à partir de 2001, il semblerait qu’il y ait pas mal de passerelles entre Barbara et vous ?
On a fait toutes les deux du piano classique. On est passées par le cabaret parisien de l’Écluse. Comme elle, j’ai eu Romanelli comme accompagnateur et Jacques Rouveyrollis comme éclairagiste. Trois jours avant sa mort, je l’avais eue au téléphone. À ce moment-là, je me lamentais, car je n’avais plus de maison de disques. "Comment ça ? C’est un scandale ! Je vais m’occuper de toi", a-t-elle répondu. Puis, elle a raccroché. La semaine qui a suivi sa disparition, je signais dans le même label qu’elle. Ou elle a téléphoné dans la foulée, après notre coup de fil, à son label en disant qu’il fallait prendre Marie-Paule Belle. Ou elle m’a aidée de là-haut. Je n’ai jamais vraiment su.

Pourquoi cette humeur à la fois mélancolique dans le son et nostalgique dans les textes pour cet album Un soir entre mille ?
La mélancolie et la nostalgie ne sont pas les images premières que les gens ont de moi. Ils me voient les cheveux frisés, sautillante au piano. En plus, tous les labels m’ont jetée parce qu’ils ne voulaient pas du piano-voix de la part d’une chanteuse de soixante-dix-sept ans. Et là, les mêmes qui n’ont même pas daigné me prendre au téléphone m’envoient des bouquets de fleurs en me disant que je suis formidable. Ils n’ont pas honte, franchement ! Pourquoi nostalgique ? Parce que c’est mon tempérament. Dans la vie, je ne suis pas marrante sauf quand j’ai bu un coup de rosé (rires). Sinon, je suis très inquiète, je doute énormément. Quand je trouve une mélodie, je suis persuadée qu’elle existe déjà. Alors je téléphone à tous les copains en leur demandant : "Qu’est-ce que c’est ça ? Vous l’avez déjà entendue ?".

Vous signez quatre textes, sans oublier cinq autres coécrits avec Isabelle Mayereau ou Michel Grisolia. L’affirmation enfin comme auteure ?
Je me suis dit que si je ne me livrais pas maintenant, jamais je ne le ferais. Le temps qui me reste, ça diminue comme peau de chagrin. C’est la première fois effectivement que j’écris autant de textes. Auparavant, et davantage pour la symbolique, j’en mettais toujours un dans l’album. Quand on a des gens autour de soi comme Michel Grisola, écrivain et scénariste, Françoise Mallet-Joris ou Serge Lama, on n’ose pas écrire un seul mot. Je ne suis pas une littéraire, mais une instinctive.

Serge Lama vous offre ici L’ombre d’un chien, chanson autour de la solitude. Lui et vous, c’est une amitié amoureuse ?
Henri Tachan chantait : "Entre l’amour et l’amitié, il n’y a qu’un lit de différence". C’est exactement ça ! Avec Serge, on a tout fait sauf conclure (rires). Une complicité extraordinaire. Déjà, on est tous les deux du signe du Verseau donc on a un sens de l’amitié et de la fidélité très fort. Même ses nuits de conquêtes amoureuses, il me les racontait. Tout le monde pensait qu’on était ensemble et ça nous amusait beaucoup de le faire croire. Il y a une grande solitude au fond chez chacun de nous deux et en même temps, un amour de la scène infini. Certains ont une vision de lui qui est erronée. Il n’est ni macho ni beauf, mais d’une sensibilité extrêmement féminine et particulièrement cultivé.

La chanson La Parisienne, qui est arrivée très vite dans votre carrière et à laquelle vous êtes constamment associée, n’a-t-elle pas brouillé votre positionnement artistique ?
C’est ma carte d’identité. On n’a jamais cessé de me demander de toujours refaire la même chose. Dès l’album qui a suivi ce morceau, on en voulait une autre dans le même style. Et moi, j’ai sorti Je veux pleurer comme Soraya ou des choses comme ça. Les télévisions m’invitent à condition de faire La Parisienne alors que j’ai plus de trois cents chansons, dont douze nouvelles. J’aurais aimé interpréter Beau temps à Saint-Germain, par exemple. Il ne faut pas s’étonner ensuite que les trois quarts des gens ne savent pas vraiment ce que je fais. Pendant le confinement, j’ai posté tous les jours sur les réseaux sociaux une chanson de chez moi. Soixante-quinze, au total. Non seulement les gens m’en parlent encore et ça a eu comme conséquence de rajeunir une partie de mon public.

Marie-Paule Belle Un soir entre mille (Panthéon / Universal Music) 2023

A écouter aussi : l'émission de Pascal Paradou, De vive(s) voix (13 février 2024)

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