Yves Simon, à base de pop

Yves Simon. © Jose Ferré

Pour la plupart, ils n’étaient pas nés à l’époque de ses plus grands succès. Quelques mois après la parution d’un recueil regroupant toutes ses chansons, c’est une nouvelle scène pop qui reprend le chanteur et écrivain, Yves Simon. Sortant du commun des albums "tribute", Génération(s) éperdue(s) offre un beau regard sur ce précurseur de la "nouvelle chanson française".

Cet hiver déjà, un recueil de ses textes de chansons paraissait sous le nom de Génération(s) éperdue(s). Cette fois, c’est un disque hommage qui met en lumière le répertoire d’Yves Simon, toujours avec le même intitulé. "C’est un titre que j’avais employé dans le Nouvel Observateur, à la mort d’un photographe qui s’appelait Gilles Caron. Il avait été le photographe de Mai-68, il avait couvert la guerre du Vietnam, et il est mort à l’âge que j’avais quand j’ai écrit le papier (...) Je pense faire partie d’une génération éperdue de voyages, de littérature, et de musique. Je fais le parallèle avec la génération d’aujourd’hui, dont le goût pour la musique a grandi, et qui n’a plus besoin de faire du stop pour voyager", raconte-t-il.

Il y a aussi dans cette formule des échos à la génération perdue, percutée par la Seconde guerre mondiale, et à la suivante, éperdue, qui allait vivre les années 60 plongée dans la musique des Beatles et de Jimi Hendrix, les livres de la Beat Generation, et le cinéma de la Nouvelle Vague. Ces années prospères furent celles de l’"incubation" pour Yves Simon, qui jouait des reprises au sein de son groupe, les Korrigans, et nourrissait le projet d’intégrer l’IDHEC, alors la grande école de cinéma parisienne. Mais c’est finalement l’écriture et la musique qui ont accaparé celui qui débuta à 23 ans comme journaliste au magazine Actuel, juste après avoir écrit son premier roman.

Une génération de trentenaires

Au rythme d’un disque par an à partir de son premier 33 tours, Au pays des merveilles de Juliet, paru en 1973, Yves Simon a ouvert la voie à ce qu’on a appelé "la nouvelle chanson française". Cette chanson faisait école tandis que lui troquait progressivement "la célébrité du chanteur pour celle de l’écrivain".

Alors que ses romans jouissaient d’un succès grandissant, il ne s’est fait entendre qu’à la faveur de retours épisodiques tout au long des années 80, en 1999, puis en 2007. On l’a peut-être oublié mais l’auteur de Diabolo menthe a murmuré à l’oreille des ados des chansons sur l’amour, Paris, ses voyages, et la nostalgie d’époques qu’il n’a pas connues.

La plupart des interprètes présents sur le disque Génération(s) éperdue(s) ont autour de trente ans ; ils n’ont pas - ou peu-  participé à la floraison de "tributes" qui éclot dans les bacs. Aux côtés de Christine & the Queens, il s’agit surtout de représentants de la pop en français : Frànçois & the Atlas Mountains, "O", Juniore, Radio Elvis ou Feu! Chatterton...

Ce choix d’artistes abonnés au succès critique se révèle convainquant pour faire vivre des textes que le chanteur écrivait "comme des éditoriaux", pétris de références culturelles. Puisant essentiellement dans les chansons des années 70, ils donnent aussi un éclairage original sur ce répertoire.

Si Yves Simon a toujours "pris soin de produire du son", c’est-à-dire "du texte, de la mélodie et même de la rythmique", ses interprètes restent bien dans cet esprit. On retrouve cela sur le Diabolo menthe de Soko, l’étonnant Petite fille, p’tite misère du Bordelais Marc Desse, l’épatant Paris 75 de Lescop & Forever Pavot, et surtout sur L’aérogramme de Los Angeles. Transfigurée par les arrangements de cordes de Woodkid, qui interprète avec l’acteur Louis Garrel cette chanson mineure, c’est l’un des bijoux de ce disque. Un autre coup de cœur pour Monsieur Yves, sinon ? "J’ai pleuré en entendant la version des Gauloises bleues par Clou. Toute seule, juste avec une guitare, elle m’a épaté."

Mais aussi singulier soit-il, cet hommage n’évite pas tous les écueils. Outre quelques titres ampoulés – Au pays des merveilles de Juliet, par Moodoïd - il y a aussi quelques hoquets, à l’image de Juliette Armanet. Son Barcelone ralenti en piano/voix ne nous réconciliera guère avec une variété sophistiquée dont le second degré reste une énigme. Parmi les inclassables, le très disco Amnésie sur le lac de Constance de Bon Voyage Organisation, ou la pop électronique de Flavien Berger sur Macadam à quatre voies, font bonne figure. 

Alors bien sûr, il manque des classiques, Le film de Polanski, Les bateaux du métro, Les fontaines du casino, Raconte-toi, ou Les enfants du siècle, mais on ne boudera pas notre plaisir de retrouver Yves Simon. À pas loin de 73 ans, celui qui écrit actuellement son autobiographie est un excellent passeur pour une génération qui sait tout ce qu’elle lui doit.

Compilation Génération(s) éperdue(s) (Because) 2018