Zazie, mise à nue
Avec Essenciel, le 10e disque de sa carrière, Zazie explore, en compagnie de la réalisatrice Édith Fambuena, des pistes aventureuses, hors cadre, pop et rock : une musique audacieuse et exploratoire, en patchwork, tissée de jeux et de liberté. Sur ses cavalcades et ses climats sonores, sa poésie apaisée se pose. Car, sur cet album, Zazie se livre, en toute intimité. Telle une blueswoman, l’artiste incarne son essentiel : les valeurs fondamentales et les questionnements d’une femme de 50 ans, bien dans sa peau et dans son chant. Rencontre.
RFI : Vous sortez, avec Essenciel, votre dixième disque. Une étape symbolique ?
À vrai dire, je ne compte pas. Seule importe la chance de continuer à exercer mon métier. Disons que c’est la dixième chance que j’ai d’explorer ma voie…
Est-ce de la chance ?
Oui, dans la mesure, où il y a ce facteur que tu ne maîtrises pas : le public. Un disque lui appartient. S’il déteste, si tu n’en vends pas la queue d’un, ta carrière s’écroule. Dans le même temps, ce n’est pas uniquement de la chance : je suis honnête, je travaille énormément, je me donne du mal et de la joie, je prends un infini plaisir à fabriquer ma musique. Et ça se ressent. Le public reste libre d’aimer – ou non – un album. Je reste libre de créer, de fouiller ce que je veux.
Pour ce disque, vous vous êtes associée avec la productrice Édith Fambuena (Étienne Daho, Jacques Higelin, Alain Bashung, etc.) Pourquoi ?
J’avais déjà eu la joie de travailler avec elle sur le disque Encore Heureux, en 2015. Lors d’une tournée géniale, on avait passé notre temps à rigoler ! Édith cumule les talents : réalisatrice hors-pair, alchimiste des couleurs musicales, elle reste aussi compositrice, guitariste et l’ex-chanteuse des Valentins. Du coup, elle possède une parfaite connaissance de ce qu’éprouve un artiste, en phase de création – panique, hystérie, enthousiasme, creux de la vague… Elle dispose d’antennes psychologiques qui ouvrent des portes, et amènent à sortir des choses de soi, en toute liberté. Elle ne juge pas. Elle sait. Elle capte. Et puis, nous sommes toutes deux des femmes d’une cinquantaine d’années, qui mesurons le prix et la chance de continuer d’explorer cette sauvage nature féminine ; deux femmes de 50 ans, bien attachées à célébrer le présent, et à instiller de la poésie partout. Nous partageons ces axes et ces folies.
Dans la musique d’Essenciel, s’entendent en effet la liberté, l’audace, mais aussi le jeu et la joie. Vous vous êtes amusée ?
J’ai abordé ce nouveau disque avec un grand esprit de liberté. Mon contrat s’achevait chez Mercury, et je voulais changer d’air et de label. J’avais cette envie de me réinventer, de me laisser surprendre par des sensations endormies au fond de moi. Ainsi, j’ai proposé à Édith : "Et si on fonctionnait comme des Djettes ?" On passait des heures à mélanger le pied d’une batterie, à mixer des timbres bizarres. On a bouleversé tous les protocoles gravés dans le marbre, propres à la composition et à l’enregistrement. Dans son studio, sans compter notre temps, ni nos nuits de travail, on triturait sons et matières : deux gamines au bord d’une piscine, qui se jettent à l’eau de façon anarchique… Alors, bien sûr, parfois, le plongeon finissait en plat… Mais même dans les moments de doute et de fatigue, on conservait cet état de recherche permanent, cette excitation !
Et pour le travail solitaire de l’écriture des textes, éprouvez-vous toujours autant de plaisir ?
À l’inverse de la composition musicale, je n’ai jamais éprouvé de plaisir particulier à écrire des textes. Roda-Gil m’a dit un jour : "Il faudrait avoir cinq ans pour créer une musique, et 70 pour écrire un texte". Un texte, c’est poser du sens, des mots – donc des limites – sur une sensation, un truc instinctif. Heureusement, il existe ces inventions merveilleuses, les métaphores, qui incarnent, en une seule image, une sensation, un sentiment. Mais le processus d’écriture reste un exercice fastidieux, dont j’éprouve toutefois le besoin : un rendez-vous avec moi-même, sur fond de rigueur, d’honnêteté et de souci de justesse. Quand c’est fini, j’ai l’impression d’avoir fait acte de courage et de persévérance. Quand j’y suis, je ne compte pas mes heures. Ça me happe : une espèce de semi-veille pour toucher des éléments proches de l’inconscient.
Votre écriture a-t-elle évolué depuis vos débuts ?
Elle s’éclaire bien sûr de mon vécu et de mon âge. Mais j’œuvre autour de récurrences – l’amour et ses dérivés. En gros, j’écris toujours la même chanson, avec des lumières différentes…
Quelles musiques vous influencent aujourd’hui ?
J’aime ces artistes aux créations hybrides : Vancouver Sleep Clinique, pop-électro ; Ry X, hyper-planant ; The Howl and The Hum, pop-rock-électro-urbain, un mélange heureux, qui laisse oublier ses ficelles pour convaincre totalement. J’aime ces créateurs qui dé-compartimentent.
Vous-même, vous vous situez hors cadre ?
J’ai été éduquée dans ce souci extrême de la politesse : un piège, y compris vis-à-vis de moi-même. Finalement, je n’osais pas dire ce que je pensais vraiment. Aujourd’hui, je reste bien élevée, mais j’arrive à dire non. Et avec le sourire, ça passe mieux. Je colle davantage à ce que je suis.
Votre disque s’intitule Essenciel. Quel est-il, justement, cet essentiel ?
Ce serait de retrouver davantage d’horizontalité. En tant qu’artiste, on éprouve des verticalités périlleuses, des carrières vertigineuses, du sommet jusqu'au gouffre, des montagnes russes émotionnelles. Or, je veux me rappeler les valeurs fondamentales – les amis, la tribu, le socle, la permanence, l’état animal, ce qui reste solide quand tout s’envole ou s’écroule. Ça permet de s’alléger du superflu, de toucher le ciel.
Vous commencez ce disque par l’électrique Speed. Comme un contrepoint à votre tube Zen (1996, NDLR) ?
En fait, je ne suis ni l’un ni l’autre. Mes chansons s’apparentent plutôt à des mantras : des leçons qu’on se répète à l’infini en espérant y parvenir. Au moment où j’écris Speed, je suis bien plus zen qu’à l’époque de Zen !
Votre disque sonne comme une conquête simple du bonheur, un pied-de-nez au temps qui passe…
Le temps qui passe, c’est la vie. Mais c’est surtout un concept nébuleux. Comme la réussite. Ou le succès. Tout dépend de notre point de vue. Je me sens épanouie parce que je suis en accord avec mon âge. Certes, c’est un effort d’entretien : du corps, de l’esprit. Mais c’est un travail réjouissant de composer avec ce qu’on est… et aussi avec ce que l’on n’est plus !
Zazie Essenciel (6&7) 2018