Fishbach, les yeux dans le bleu

La chanteuse Fishbach. © Jules Faure

Elle a été révélée avec une musique très "années 80", qui allait fouiller dans les rayons de la mort. Entrée dans la trentaine, Fishbach publie Avec les yeux, un deuxième album dans lequel elle joue de son romantisme sombre et grossit encore le trait. Rencontre avec une des voix les plus particulières – et les plus éraillées- de la pop à la française. 

La dernière fois que l’on avait rencontré Fishbach, c’était dans le monde d’avant. Alors révélation des Trans Musicales de Rennes, elle était à l’aube d’un début de carrière tonitruant. Après une tournée en forme de tourbillon et des années marquées par les confinements passées chez elle, dans les Ardennes, c’est une Flora Fishbach toujours théâtrale que l’on retrouve. Chapka sur la tête, manteau de cuir et longues bottes à lacets, la chanteuse est accompagnée le jour de notre rencontre dans les locaux de sa maison de disques de son chien, Ardent. La présence de ce chien blanc farouche aux yeux bleus tranche avec le cadre aseptisé et rajoute un peu à la singularité d’une trentenaire qui aime jouer avec les ombres, les siennes comme celles des autres.

Autant Fishbach affiche sur scène un côté sombre, autant elle a dans la vie une parole prolixe, souvent amusée, qu’elle entrecoupe de quelques bouffées de cigarette électronique… Dans son deuxième album, Avec les yeux, elle creuse toujours sa veine années 80, à mi-chemin de la pop et de la cold wave. 

Plus de douceur

On retrouve cette voix qui déraille et des atmosphères brumeuses qui flirtent avec le kitsch. Directement inspirée par le Covid-19, Dans un fou rire est une mise au point sur l’époque. "Des avis mes amis / Et bien j’en n’ai pas/ J’en n’ai plus / Laissez-moi nue / J’en ai assez qu’on me dise / Que dire ou que penser / J’entends tellement de bêtises / À pourrir mes journées", glisse-t-elle. Les chansons parlant d’amour se font volontiers allégoriques et cryptées, quitte à brouiller les pistes. Dans Téléportation la chanteuse dresse d’elle une sorte d’autoportrait, hantée par les malheurs du monde et n’aimant que les anti-héros. 

Mais passées ces vapeurs, les ballades se révèlent d’une grande classe. Quitter la ville évoquerait presque le Blue moon d’Elvis Presley. "Je me suis permise un peu plus de douceur sur ce disque. Peut-être parce que je suis moins en colère qu’avant ou que j’essaie moins de me cacher derrière une façade de femme forte, alors que je suis quelqu’un d’assez sensible, voire fragile par certains aspects", concède-t-elle. La plupart des textes ont été co-écrits avec des auteurs qui sont venus vers elle, à l’image d’Olivier Valoy et de Martin Rahin, alias Casual Melancholia.

La chanteuse a poussé le côté rétro-futuriste plus loin. Au côté de claviers éthérés, des boîtes à rythmes, il y a de gros solos de guitare harmonisés. Pourquoi ces clins d’œil au rock FM, un style tombé en désuétude ? "C’est de la musique que j’écoute, répond-elle. Je viens de passer mon permis et j’écoute beaucoup de musique en bagnole. De la musique des années 70-80, du glam, du hard FM, du hard-rock. Moi, je prends très au premier degré Foreigner et Scorpions. J’adore Alan Parsons Project et Supertramp. Dans les artistes plus récents, j’aime beaucoup Kirin J. Callinan. Un artiste australien qui joue très bien de la guitare. Il accompagne sa voix avec sa guitare, comme si elle était une chanteuse". 

Une musique du cœur

Si elle compose essentiellement sur son ordinateur, Fishbach assure ne pas être si loin du blues. La guitare et son électricité ont une grande importance pour elle. Celle qui arbore une Vox Phantom –  le modèle joué par Ian Curtis de Joy Division-, compare les solos au chant. "J’y vois les sons les plus féminins qui soient, les plus sexy. On pourrait croire qu’il y a un côté viriliste et phallique sur le manche, parce que c’est joué par des mecs. Mais pas du tout ! Parce que les mecs en question avaient des cheveux longs, ils se maquillaient et ils avaient des paillettes. Il y a un côté très androgyne !

Avec son regard bleu profond, Fishbach est devenue l’une des muses de la maison Paco Rabanne. Actrice, elle a joué dans l’adaptation de la trilogie de Virginie Despentes, Vernon Subutex, tournée pour Canal +.  Avec tout ça, quel est son regard sur la musique ? "Il est extrêmement intuitif et sentimental. Tout le monde vous dira ça, mais c’est vrai, il y a un truc qui vient du cœur ! Et moi, j’essaie de cultiver cet émerveillement. Un peu comme dans l’enfance, quand on était emporté par une histoire ou qu’on croyait à la magie ", assure-t-elle. Si elle connaît désormais les ficelles du milieu, la trentenaire estime que son "grand boulot, c’est de continuer à être une amateur " et d’avoir un rapport à la seule beauté. 

À la veille de sortir ce deuxième album plus introspectif, Fishbach prépare une nouvelle tournée. Seule en scène, elle entend retrouver un rapport presque charnel au public. Nul doute qu’elle confirmera dans le monde d’après son statut de valeur sûre de la pop à la française. 
                                           
TwitterFacebook / Instagram / YouTube 

Fishbach Avec les yeux (A+LSO/ Sony Music) 2022