La pop singulière de Madelyn Ann ou la modernité bretonnante

Madelyn Ann, 2022. © RFI/Olivier Favier

Quatre titres lui ont suffi pour lancer une tournée prestigieuse dans la région. Madelyn Ann est la révélation de la scène indé bretonne en ce début des années 2020. On pouvait l’entendre ce samedi 23 juillet à Quimper.

Le Festival de Cornouaille est avec le Festival interceltique (du 5 au 14 août à Lorient) l’un des grands rendez-vous estivaux de la culture musicale bretonne. Il s’est tenu cette année du 21 au 24 juillet associant concerts, spectacles et ateliers, accompagné d’un marché sur les bords de l’Odet et aux environs de la Cathédrale, dans la cour du Musée départemental de Bretagne.

Ce dernier accueille par ailleurs jusqu’au 31 décembre une exposition sur le Barzaz Breizh, recueil canonique de contes, histoires et chansons traditionnelles bretonnes qui a inspiré peintres, écrivains, réalisateurs et compositeurs et interprètes, une autre manière d’explorer la richesse du patrimoine musical régional.

En première partie de Jane Birkin au Festival de Cornouaille

À côté des Bagadi et des Festou noz, les festivaliers ont pu entendre le monstre sacré du rock italien Zucchero, actuellement en tournée en France, ou le dernier opus de Jane Birkin, composé par Etienne Daho. Finistérienne d’adoption – il faut voir le documentaire Abers Road que lui a consacré Gaétan Roussel l’an dernier-, cette dernière accueillait en première partie une chanteuse pop venue de Camaret, à l’extrême-pointe de la presqu’île de Crozon.

Comme elle, Madelyn Ann n’est pas née en Bretagne, mais a choisi d’y vivre. Originaire de Cherbourg, en Normandie, elle a étudié la biologie marine qu’elle enseigne encore aujourd’hui. En s’installant en Finistère, elle a appris le breton, devenu pour cette amoureuse de la poésie la langue du secret et de l’intimité, celle qu’elle utilise pour parler à sa fille et écrire désormais ses chansons.

Le Quimpérois Olivier Le Hir la découvre lors de l’édition 2019 du Festival du bout du monde à Crozon, alors qu’elle fait un featuring avec Robin Foster. Séduit par sa voix, sa présence et les sonorités nouvelles qu’elle parvient à donner à la langue bretonne, il décide de s’associer au duo qu’elle forme avec son compositeur et guitariste Gaëtan Fagot. Peu de temps après, le batteur Brendan Costaire rejoint cette formation désormais au complet.

Le premier morceau qu’ils enregistrent, War-Vor [En mer] est une ode à son compagnon marin au long cours. Dans un clip onirique et étonnant tourné dans une maison sur la presqu’île, on la voit suivre un long fil de laine qui se perd sur la laisse avant de s’enfoncer dans les flots. Suivent trois autres chansons qui composent un premier EP avant la sortie de l’album prévu pour 2023.

Le breton, langue intime et matière sonore

Les amateurs de trip-hop et de pop indé trouveront dans ces propositions bien plus qu’une promesse. Din Eo, Fiñv ou le sublime Ankou par exemple, sont de ces titres qui s’impriment immédiatement en nous comme des évidences. En scrutant la toile, on peut désormais en écouter quelques autres, qui tous témoignent de la singularité d’un groupe qui cite les Britanniques de Archive ou les Allemands de Notwist parmi ses références mais ne joue pas les épigones, loin s’en faut.

"Pour moi, le breton est autant une matière qu’une langue", sourit Madelyn Ann qui assume que ses textes ne soient pas compris par une bonne part de son public. Les bretonnants, en effet, sont aujourd’hui un peu plus de 200 000 dans les cinq départements de la Bretagne historique, soit à peine plus que 5 % de la population.

Qu’à cela ne tienne. Grâce à elle et à quelques autres, comme son aînée Nolwenn Korbell, le breton trouve sa place dans la création contemporaine, l’enrichissant de sonorités nouvelles. Et dans cette langue secrète, que Madelyn Ann ira chanter ces prochains mois jusqu’au Pays de Galles, elle traite aussi, pour ne prendre que deux exemples, d’écologie et de féminisme.

 Ce sont des thèmes qui relient les combats anciens du peuple de Finistère – qu’on pense à la grève des ouvrières de Douarnenez en 1924 ou au combat victorieux des femmes de Plogoff contre le projet du central nucléaire de la pointe du Raz à l’orée des années 1980 – aux débats les plus prégnants de notre actualité. Par sa voix, l’engagement pour faire vivre une langue régionale rejoint l’universel, tout comme ce fil tendu entre ses rêves et l’océan.

Madelyn Ann War-Vor (Autoproduction) 2021

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