Phoenix et l’ombre de Zdar

Phoenix, 2022. © Shervin Lainez

Le groupe français Phoenix est de retour avec un septième album, Alpha Zulu, qui témoigne des multiples facettes de sa pop. Rencontre avec le guitariste Laurent Brancowitz et le bassiste Deck d’Arcy. 

RFI Musique : Composer dans un musée a-t-il inspiré votre musique ? 
Deck d’Arcy : Pour la création de chaque album, nous recherchons un nouveau lieu afin de repartir de zéro. Par un concours de circonstances, le musée des Arts décoratifs, à Paris, recherchait des artistes en résidence. Nous y avons transformé en 2020 une salle de réunion en studio d’enregistrement. On y a passé presque deux ans. Avec vue sur la pyramide du Louvre.  
Laurent Brancowitz : Nous étions heureux de venir y travailler. Dans cette période angoissante de pandémie, nous étions ravis d’avoir cette mission quotidienne de créer des chansons. C’est ce qu’il y avait alors de mieux à faire. Nous avions nos laissez-passer, alors que tous les musées étaient fermés, et nous étions masqués en studio ! Cela restera des souvenirs forts. 

Alpha Zulu, quel drôle de titre… 
D.A. : C’est Thomas [le chanteur du groupe, NDLR] qui l’a trouvé. Il avait vécu un vol un peu turbulent au-dessus de Belize. Il entendait constamment "Alpha Zulu" depuis la cabine de pilotage et s’imaginait une forme de S.O.S., alors que c’était le nom de l’avion dans le code de l’aéronautique, prononçable dans toutes les langues.  
L.B. : Il y a une puissance phonétique qui nous a séduits. On a grandi en ne comprenant que très peu des chansons qu’on aimait, je pense que nous avons gardé cette perception assez phonétique en nous. Nous cultivons ce rapport aux mots qui n’est pas seulement sémantique. 

Grand absent de cet album, Philippe Zdar, qui assurait le mixage, est mort en 2019… 
L.B. : Oui, il a participé à presque tous nos albums. C’est étrange à dire, mais d’une certaine manière, il a aussi produit ce disque.  
D.A. : On aurait dû le créditer ! (rires) Il était présent parmi nous, on intégrait son opinion présumée à nos décisions. Il a marqué tous les gens avec lesquels il a travaillé.  
L.B. : Je dirais même tous les gens qu’il a rencontrés. Son boucher était à son enterrement, en larmes, son plombier… Il avait cette puissance vitale qui faisait que même la mort n’était pas une entrave. 

Y avait-il des fantômes dans ce musée vide ? 
L.B. : Même les gardiens qui ne croient pas du tout aux fantômes ont des anecdotes qui vont dans le sens inverse ! (rires) Un fantôme célèbre rôde, celui d’une victime de l’incendie des Tuileries [survenu en 1871, NDLR]. Il revient, c’est une certitude et je ne me sens pas de remettre la parole des gardiens en doute. 
D.A. : On a bien sympathisé avec les gardiens, d’autant qu’une bonne partie sont des artistes, qui font ce métier à côté.  

Pour la première fois, vous avez convié un chanteur, Ezra Koenig, du groupe Vampire Weekend. Pourquoi ? 
D.A. : Nous étions en train de travailler sur un titre, dont une des parties était baptisée "Ezra", car elle lui ressemblait vaguement. Nos morceaux sont parfois des patchworks de différentes parties, pas toujours composées au même moment, auxquelles nous donnons de petits noms. Nous avons sollicité Ezra, qui a accepté, on l’a souvent croisé en festivals. 

Quel a été le rôle de l’ex-Daft Punk Thomas Bangalter ? 
L.B. : Un rôle de consultant et d’ami. 
D.A. : Philippe Zdar était bien plus qu’un mixeur, il était une oreille extérieure. Thomas, c’est de l’histoire très ancienne [les deux futurs Daft Punk avaient créé un groupe avec Laurent Brancowitz en 1992, NDLR]. Il est venu deux ou trois après-midis. 
L.B. : Il nous a incités à épurer notre disque au niveau sonique, car il est très sensible à la matière sonore. Il a souvent évoqué l’idée d’écarter le spectre, c’est-à-dire désélectionner les morceaux qui étaient les plus différents les uns des autres, contrairement au précédent album, Ti amo, focalisé sur une émotion. 

Il y a quelques samples, notamment de rythmes africains sur Identical
L.B. : Nous nous servons souvent de samples pour commencer à créer des morceaux. J’enregistre énormément de sons que je ressors en studio, des petites boucles rythmiques qui servent de tuteur avant de disparaître, cela fait partie de notre méthode de travail. Je sample beaucoup de musique africaine, notamment de l’amapiano, car la plupart des morceaux commencent par une rythmique seule, ce qui est rare, sauf en disco. On a parfois glissé des influences africaines dans notre musique, mais je ne suis pas sûr que les gens s’en soit rendu compte ! (rires) 

Phoenix, Alpha Zulu (Loyauté/Glassnote/Sony Music) 2022
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