Immortel Cheb Hasni

Le 29 septembre 1994, dans une Algérie en proie à la terreur islamiste, Cheb Hasni, le Rossignol du raï est assassiné en pleine rue à Oran. Quinze ans plus tard, son raï romantique fait toujours rêver et danser, dans les rues et les cabarets de la ville la plus festive d’Algérie.

En plein cœur d’Oran, un rythme lancinant s’échappe d’une petite boutique de disques. C’est Nti, Nti, mon amour de Cheb Hasni, un titre de 1994. Le son n’a pas vraiment vieilli et le texte non plus : Cheb Hasni se glisse dans la peau d’un amoureux, qui s’interroge sur comment séduire cette belle blonde qui l’ignore.

Rossignol du raï

1994 : Cette année-là, Cheb Hasni est au faîte de sa gloire. A Oran, il est adulé par toute la jeunesse et on le surnomme le Rossignol du raï. Pourtant, ce n’est pas vraiment la fête en Algérie. Les islamistes tentent d’imposer leur loi et multiplient les intimidations, notamment envers le milieu raï. Le 29 septembre 1994, peu avant midi, Cheb Hasni est assassiné dans la rue, de deux balles… Toute l’Algérie est en émoi et des milliers de fans assistent à son enterrement. Quinze ans ont passé. Attablé à la Cafétéria Cheb Hasni, devant un café serré qui refroidit, son frère Houari tente de se rappeler l’enfance modeste, l’adolescence turbulente et enfin de la courte carrière de Hasni, qui chantait "avec le cœur". Mais la douleur reste trop vive et les larmes montent vite.

Fil du quartier

On parle donc d’autre chose. Et pourquoi pas du quartier ? D’ailleurs, Hasni, c’est d’abord le fils de Gambetta, de ces ruelles étroites et écrasées de soleil. Il y a d’abord joué au football au sein de l’ASCO, un club d’Oran, puis anima les fêtes communales. Le patron du cabaret Le Biarritz, là où Cheb Hasni a donné l’un de ses premiers concerts, se rappelle : "Je traversais souvent Gambetta à l’époque et  j’avais remarqué ce jeune qui chantait dans la rue en s’inspirant de Khaled ou des variétés libanaises ou occidentales. Je lui ai proposé de se produire dans un cabaret de la corniche, puis au Biarritz. Il était réglo, honnête, adorait son public".

En 1986, Hasni a 18 ans et provoque le scandale en chantant avec Cheba Zahouania (de presque dix ans son aînée), El Baraka, devenu depuis un classique du raï des années 80. Cette chanson, qui dit en substance "on a fait l’amour dans une baraque pétée", raconte en creux les affres du logement et de l’amour chez les jeunes. Toujours éminemment d’actualité, elle est encore souvent reprise par la nouvelle génération de chanteurs raï.

Hasni, pionnier du raï love

Mais Hasni, c’est surtout le pionnier du raï sentimental, LA couleur des années 90. Amour impossible ou secret, romances empêchées par les familles, trahisons, rigueur de la société : des problèmes partagés par tous… Très vite, la jeunesse s’identifie et fait de Hasni son idole. Le jeune Cheb passe des heures en studio et sort une centaine de cassettes en moins de dix ans de carrière.

"Elles se vendent toujours aussi bien", certifie Nassredine, le vendeur de l’étroite boutique du centre ville. Il nous fait maintenant écouter Abdou, héritier présumé de Hasni. Pendant que la cassette tourne, il avoue : "Beaucoup s’inspirent de Hasni, mais personne n’aura jamais son charisme. Personne ne saura mieux que lui incarner l’amour…" Quinze ans après sa mort, le Rossignol du raï chante toujours dans le cœur des Algériens.

 

Khaled Bendouda, les textes du raï

A 46 ans, Khaled Bendouda est un pilier de la chanson raï à Oran. Poète et auteur-compositeur depuis 1986, il a travaillé pour toutes les stars du genre : Cheb Khaled, Mohamed Nouna, Cheba Zahouania et surtout Cheb Hasni pour qui il a écrit plus de cent chansons.

RFI Musique : Comment se passait la composition d’une chanson pour Cheb Hasni ?
Khaled Bendouda :
En règle générale, les chanteurs raï n’écrivent pas leurs paroles. Le chanteur a une idée de thème comme les problèmes de logement, d’amour ou de visa, et c’est le parolier qui développe l’idée. Hasni avait vécu certaines situations difficiles comme la trahison amoureuse. Il me racontait sa vision des choses et j’écrivais un texte. Souvent, le chanteur pose seulement sa voix en studio, c’est tout. Hasni, lui, avait des idées de compositions, il se mettait au synthé et on travaillait ensemble. Il savait surtout interpréter les textes, et les rendre forts, universels.

Vous vous rappelez du jour de son assassinat, le 29 septembre 1994 ?
C’était un jeudi, vers 11H30. Nous avons été très choqués. C’était une star, mais on était quand même une famille. Et puis nous étions fascinés par lui : on enviait aussi son succès bien sûr... Quand la nouvelle a circulé, l’Algérie toute entière s’est retrouvée au quartier Gambetta, là où vivait la famille de Hasni. Des femmes sont venues de tous les quartiers d’Alger, de l’est du pays, du Sahara, du Maroc qui n’est pas loin, des Etats-Unis…

Après sa mort, vous avez continué à écrire des chansons raï ?
Le raï n’a jamais déclaré forfait. C’était une façon de résister. Jusqu’à la mort ! Si j’avais été tué, il y aurait eu une relève, toujours, jusqu’à la fin du monde. Le raï, c’est le peuple algérien. Donc si tu aimes le peuple algérien, tu travailles pour lui, en toutes circonstances. Les terroristes faisaient des bombes, moi du raï.