La contestation de Lofofora ou de Stupeflip

Salade de bruits à la française servie sur les platines de ce début d’année. D’un côté, l’ovni Stupeflip où trois jeunes rebelles masqués cherchent une direction à leurs revendications, jouant à fond sur la forme dans un album éponyme. De l’autre, Lofofora, vieux de la vieille, avec un quatrième album Le fond et la forme aussi sobre que terriblement efficace. Deux discours, deux réflexions, deux facettes de la contestation.

"Depuis que j’fume pu d’shit, j’ai de la conversation. Je peux aborder une femme sans flipper comme un con...". C’est simple, drôle et à contre courant du discours de la musique reggae. Il n’en fallait pas plus pour que les milieux autorisés bourdonnent et annoncent un album énorme... Stupeflop! Croisement entre Beastie Boys, Béruriers Noirs et Cypress Hill, cette première réalisation, éponyme, n’apporte pas grand chose à la musique. Sur fond de boîte à rythmes bas de gamme et de riffs de guitares éculés, les trois membres du groupe, King Ju, MC Salo et Stef Cadillac le revendiquent d’ailleurs: "Même si la chanson ne sert à rien, ça fait du bien de chanter le refrain". Le groupe ânonne quinze fois les mêmes phrases, espérant qu’un jour quelqu’un finisse par y déceler un message dissimulé. Stupeflip ne risque pas d’indisposer grand monde. L’indigence de l’orchestration rivalise avec celle des paroles: "personne t’oblige à subir quoique ce soit".De décevante, la première écoute vire à énervante.

Et les propos du chanteur King Ju ne change pas grand chose à l’affaire. Il se gargarise dans la presse avec des phrases comme "Je n’ai pas choisi d’être artiste, on m’a rejeté, mes appel à la violence il faut les prendre au premier degré." Ecoutez bien l’album, tous les trente secondes, il hurle "Stupeflip" ou "King Ju" mais les appels à la violence, en revanche, se font discrets. L’album devient même risible lorsqu’on le compare à l’œuvre de l’activiste français Jean-Louis Costes (absolument rien à voir avec les compilations lounge de l’Hôtel Costes). Grâce à ses provocations alimentées de musiques brouillonnes et de voix saturées, l’homme s’est attiré les foudre de la justice. Depuis, criblé de procès, il a bien dû se calmer. Dans la catégorie, nos trois zozos jouent les nains de jardin.

Et pourtant, à la troisième écoute, on se laisse peu à peu gagner par cette stupidité revendiquée. Un titre comme A bas la hiérarchie aussi inutile soit-il, se révèle un véritable défouloir. Comme les zot’ avec son détournement des "plus beaux fleurons" de la chanson française marque un point. Et dans cette débauche de musique bon marché (dites "spontanée" quand vous croisez le groupe), Carry on sort du lot. Directement influencé du rock indépendant américain, il laisse à penser que oui, Stupeflip a bien quelques qualités.

Avec un brin d’indulgence, on comprend un peu mieux la démarche des trois acolytes. "ça fait rigoler tout le monde alors que c’est pas drôle". Le tube J’fume pu d’shit était un leurre, un cheval de Troie dans l’industrie musicale. Lorsqu’on sait que King Ju, avant sa passion musicale, fréquentait les écoles d’arts, notamment à New York, on se prend à extrapoler. Peut-être au final, s’agit-il d’une performance soulignant la quête de sens de la jeunesse. Dans cette optique, chapeau bas, c’est un succès.

Le fond a la forme

 

Lofofora semble supporter la démarche des trois rigolos (pas toujours drôle) de Stupeflip. On jurerait qu’Alarme citoyenne, un de leurs nouveaux titres, leur est dédié notamment avec ce passage "Quelque soit la façon réveillons la nation". La convergence s’arrête là. Lofofora ne se contente pas de hurler entre chaque couplet, il apporte aussi du sens à ses sons. Le quatrième album de la bande à Reuno en est la preuve. Le fond et la forme a pourtant failli ne jamais voir le jour. Depuis un an, le groupe a connu une évolution de casting digne des Feux de l’amour. Farid, guitariste à la recherche de musique plus douce, cède sa place à Daniel. En plein enregistrement, c’est Edgar, le batteur qui annonce sa défection. Pierre (ex-Artsonic) le remplace au pied levé. "Il nous faut de la chair fraîche régulièrement.On a usé quatre batteurs et trois guitaristes depuis le début de Lofo’ et on a toujours envie de continuer, assure Reuno, le chanteur, avec Phil [le bassiste] on a vraiment du mal à se calmer, on a quand même plus de 35 ans tous les deux".

Ce changement de personnel n’a pas affecté le style du groupe. Les deux arrivants ne sont pas des débutants, ils gravitaient depuis longtemps déjà dans l’univers Lofo’. L'intégration a même été rapide comme l’affirme Reuno : "Lorsque Daniel est venu pour l’audition, ça c’est tellement bien passé que l’on a commencé à composer un titre,Série Z, qui apparaît sur l’album. Et c’est un rythme de percus, joué par Pierre qui a donné naissance au morceau Le fond et la forme."

A l’écoute de l’album, on se rend effectivement compte que la recette de Lofofora est toujours aussi épicée. Une basse au groove ronflant, des riffs de guitares ciselés avec amour et toujours la voix de Reuno, furie scandant sa sombre insoumission. Une musique de jeunes avec des textes matures où la musicalité des mots est un vrai bonheur. A ce propos, il faut noter que l’écoute de l’album développe une synchronisation inédite chez l’auditeur. Au bout de quelques secondes, vous parvenez naturellement à secouer la tête tel un écervelé, tout en écoutant les paroles. Peu de groupe de hardcore peuvent s’en vanter.

Le grand changement de cette cuvée 2002 réside dans l’ambiance de l’album. Auparavant, le totem de Lofofora était le marteau piqueur. Ecouter d’une traite l’intégralité des anciens CDs sans casque de protection relevait de l’inconscience. Sur Le fond et la forme, le son est toujours aussi abrasif mais le rythme est plus étudié. Des pauses comme Histoire naturelle ou Bienvenue permettent de souligner la violence des autres titres. Cette évolution n’est pas anodine comme le souligne Reuno. "Nos morceaux sont moins sombres. Ce n’était pas un exemple pour la jeunesse (!) Ce changement tient aussi au fait que maintenant, on habite tous au sud de la Loire.Et puis, il y a tellement de matraquage, notamment dans les médias que ça ne servait à rien de jouer leur jeu, autant prendre du recul."

C’est ce qui distingue Lofofora des jeunes blancs-becs de Stupeflip: écoutez des titres comme Auto-pilot ou Comme à la guerre, c’est se gorger d’énergie positive. Ce n’est pas un hasard si des groupes comme Pleymo ou Watcha revendiquent leur filiation. Cette fois encore, ils peuvent être fiers de leurs origines. D’autant que si Le fond et la forme se complaît dans votre salon, il se révèle bien plus redoutable sur scène. Là où le groupe a forgé son nom. Là où quand survient un trou de mémoire, Reuno assure qu’il peut lire les paroles des chansons sur les lèvres du premier rang. Une tournée qui débute le 14 février, jour de la Saint-Valentin: "On l’a fait exprès, on va l’appeler le Love Metal Tour!". Lofofora sur les routes au moins "jusqu’à fin août".

Lofofora Le fond et la forme (M10) 2003
Stupeflip Stupeflip (BMG) 2003