Le "Hold up" de Saïan Supa Crew

Après quatre ans d’absence, le Saïan Supa Crew tente un Hold Up – titre de leur nouvel album. Le groupe le plus éclectique du hip hop français revient avec des préoccupations nouvelles et un discours plus affûté. Ils s’en expliquent.

Le Saïan Supa Crew était bien silencieux depuis quatre ans. Et ce silence, de la part du groupe hip hop le plus énergique de France, semblait assourdissant pour les fans, qui ont pu néanmoins se rabattre sur divers projets parallèles – les albums d’OFX (Féniksi-Vicelow) et d’Explicit Samouraï (Leeroy-Specta), le maxi de beatbox de Sly The Mic Buddah, le disque solo de Sir Samuel et la mixtape de Leeroy Kesiah. Mais le silence est à présent rompu. Le 31 octobre dernier fut d’ailleurs une journée particulièrement bruyante : le matin, l’album Hold Up (Source) était enfin disponible chez tous les bons disquaires ; le soir, le combo, désormais amputé de Specta, parti pour d’autres aventures, mettait le feu à la Maroquinerie à Paris, devant un public jeune et bigarré, surexcité aussi, confirmant leur réputation de bêtes de scène.

Avec Hold Up, les Saïan réussiront-ils le casse du siècle ? Pas sûr, tant le marché du rap est déprimé. Ils confirmeront par contre leur place à part dans le paysage musical français. L’essentiel est sauf. La longue période qui nous sépare du CD précédent, X Raisons, n’a pas entamé l’esprit du crew, entre franche rigolade et constats cruels. Avoir mis le Saïan entre parenthèse aussi longtemps a permis à chacun "de mieux se connaître", lance Féniksi. Du coup, "on a plus confiance en soi et chacun devient plus complémentaire". Retrouver ensuite les contraintes du groupe " a été plus simple qu’on ne le pensait. Le premier jour, on a pratiquement fini une chanson. Et puis, on était moins à cheval sur les principes : si un morceau parlait moins à l’un d’entre nous, il n’y participait pas". Comme entité, le groupe "a aussi évolué", ajoute Sir Samuel. "La scène nous a donné la capacité d’être clair et précis, dans notre façon d’écrire comme dans notre musique". "Dès le départ, confirme Leeroy, les chansons de l’album KLR ne passaient pas en radio. Nous avons fait notre éducation sur scène, en France comme à l’étranger."

Aujourd’hui trentenaires et parfois chefs de famille, les quatre du Saïan Supa Crew retrouvent leurs automatismes (les passages beatbox et reggae, les filles, la fête…) mais gagnent en gravité. Contrairement à beaucoup de leurs collègues, leur vision dépasse largement la cage d’escalier : Mama suit les souffrances d’une fille mère rejetée par sa culture d’origine et par son pays d’adoption (la France), Malgré les galères évoque la crise du couple, Rouge sang jette un regard dur et lucide sur la misère et l’exploitation de l’Afrique par les anciennes puissances coloniales, et le peu d’écho donné à ces sujets par les grands médias. "Il est plus difficile de faire passer des titres lourds, surtout sur l’Afrique car beaucoup de gens pensent que tout a été dit", estime Féniksi. "Et même si un titre comme Rouge sang n’a pas été choisi comme premier single (au profit de La Patte – ndlr), on a quand même pu le chanter deux ou trois fois à la télé. Le vrai problème vient des radios qui ont peur de faire fuir leurs auditeurs." Les temps sont à la lutte et Hold Up marque un retour résolument engagé, même si le Saïan Supa Crew n’a jamais été totalement insensible aux faits de société. "On a une vision plus affinée de la réalité qui nous entoure, on apprend toujours plus de choses sur la manière dont le monde fonctionne, et plus tu grandis, plus tu vois que ce monde est dur. Je pense que cette prise de conscience se retrouve dans l’album. On n’est pas dur pour être dur, on ne fait que refléter ce qu’on voit." Avec Jacko, chanté en créole et en français, le groupe se paie la tête de Jacques Chirac. "Nous, on est là d’abord pour faire de la musique et pour amuser les gens", nuance Sir Samuel. "Avec Jacko, on n’est pas vraiment entré dans le détail de la politique de Chirac, à savoir ce qu’il a fait ou pas. A travers cette chanson, on parle surtout de la classe politique. Il me semble qu’il y a beaucoup de Jacko chez les politiciens, c’est-à-dire des gens qui ne sont pas là pour défendre les intérêts d’un pays mais pour tenir au pouvoir le plus longtemps possible et rester au chaud."

Leur penchant "ambianceur" reprend régulièrement le dessus. Originales est "un hymne au cul" (dixit Leeroy), Féceps se situe au même niveau – " on parle d’un muscle, comme les biceps sont les muscles des bras". Ici ou là, la poilade pointe toujours au coin du bois. Musicalement, leur savant mélange de rap, de reggae et de r&b tient toujours aussi bien la route, même si certaines compositions sont plus sombres, marquées par des incursions jazz et drum & bass, à l’image de Mama, qui "passe par différentes ambiances musicales comme autant d’étapes dans une vie : ça commence en Afrique avec une rythmique tribale, puis on arrive en France avec un son soul urbanisé". Comme sur tout album de rap qui se respecte, on compte les featurings : Will I Am (des Black Eyed Peas), Patrice et, plus surprenant, la chanteuse Camille. L’ouverture au monde de la chanson est nouvelle pour le Saïan, mais pas pour tout le monde – Vicelow et Féniksi ont collaboré avec M sur l’album d’OFX. Pour Sly, qui a déjà travaillé avec la chanteuse, "Camille est une personne particulière. Elle s’est plus qu’investie dans la création : elle a co-écrit le texte, a supervisé les orchestrations. Toutes les personnes avec qui on a fait des featurings ne se sont pas autant investies. Je pense que le perfectionnisme fait partie de sa personnalité." Actuellement en tournée dans des petites salles, Saïan Supa Crew reviendra pour une série de concerts plus conséquente au printemps prochain. À défaut de voir les trublions sur scène, les heureux acquéreurs de l’édition limitée de Hold Up pourront se la couler douce devant un DVD, qui suit le groupe dans la réalisation de cet album.

Saian Supa Crew Hold Up (Source) 2005