Gaël Faye, le blues de Buja
Son roman Petit Pays l’a mené sur le devant de la scène littéraire. Mais c’est à la musique que le chanteur franco-rwandais Gaël Faye se consacre en ce printemps. Désormais installé au Rwanda, le rappeur-écrivain appelle la France "à faire pays" dans un nouvel EP Rythmes et botanique plein de blues. Porté par son récent succès, il ne boude pas son plaisir de retrouver les foules pour une tournée dans toute la France.
En repensant à la rencontre avec ce garçon plutôt calme et réfléchi, on est surpris par la colère sourde chez celui qui fait rimer "Césaire et Prévert". Après avoir déclamé une bonne partie du poème Minerai noir, du grand poète et romancier haïtien René Depestre1, Gaël Faye raconte : "Quand je découvre ça à 16 ans, je tombe complètement abasourdi. J’arrête IAM et NTM, et je me dis : ‘Ça y est !’ Sans utiliser la vulgarité, là réside la vraie violence, le coup de poing. À côté, Ronsard, qu’on étudiait en classe, et même Baudelaire, me semblait fade. Cela ne vient pas de la gorge, ça ne tape pas. Ces poètes, ils tapent et à cet âge-là, j’en avais besoin".
De ce choc dont on perçoit les répliques, il reste la lecture des intellectuels de la Négritude et puis, une foi inébranlable en l’écriture. Le jeune Gaël Faye l’a découverte, en 1995, dans les jours qui ont précédé son départ du Burundi où il a grandi et elle a accompagné ce métis, né de mère rwandaise et de père français, depuis son départ pour la France, où il a passé la fin de son adolescence.
Le masque et la plume
Avant de devenir chanteur et d’être complètement révélé au public en tant qu’écrivain, Gaël Faye a travaillé à la City pour un fonds d’investissement. Il garde de ces années passées dans la finance le souvenir "du non-sens de sa vie quotidienne", des pauses déjeuner passées à écrire à la bibliothèque située à côté de son bureau, et surtout de soirées où le garçon en costume se recomposait dans les studios de Brixton, l’un des quartiers jamaïcains de Londres.
On comprend dès lors un peu mieux pourquoi le rappeur-slameur goûte son succès surprise. Son premier roman, Petit Pays, qui raconte l’histoire du jeune Gabriel et de sa bande de copains, Gino, Armand et les autres, dans le Bujumbura de son enfance, a été l’un des cartons de ces dernières saisons. Avec 400 000 exemplaires vendus, selon l’éditeur Grasset, l’obtention du Goncourt des lycéens et d’une dizaine de prix littéraires, le chanteur a été pris en fin d’année dernière dans un véritable "tourbillon (qu’il) ne réaliser(a) que dans quelques années".
"Je me disais que ce livre intéresserait ceux qui ont un tropisme pour l’Afrique ou seulement les anciens du Burundi. Avec un livre qui parle de la guerre, du génocide des Tutsis au Rwanda, je n’imaginais pas que je vendrais plus qu’Harry Potter à Noël en librairie, ce n’est pas possible. Cela m’a appris en tout cas qu’en parlant du local et en affirmant son identité, on peut toucher à l’universel", assure-t-il.
Rimes et botanique
Si ce roman convoque le pays où il a grandi plus que sa véritable histoire, le disque Pili-pili sur un croissant au beurre (2013) était un "journal intime" sur fond de passerelles entre la chanson, le rap, et cette Afrique de l’exil. En attendant un nouvel album prévu a priori pour l’an prochain, c’est avec un EP de cinq titres que Gaël Faye "appelle à faire pays" dans une France clivée autour de ses élections et de ce qui fait pourtant son essence ( « Liberté, Égalité, Fraternité ») .
"On nous appelle PD, blancos, bougnouls ou bien nègres / On vit dans la riposte, on réfléchit après coup / On vit extra-muros, donc, on arrive par vos égouts / Nous sommes des cargaisons de femmes voilées, des youyous stridents / Des rastas, des casquettes tournées, des voyous prudents / Des espoirs accrochés, des paradis assassinés, des parents épuisés enfantant des gosses méprisés", endosse l’un des couplets d’Irruption. Avec ses paroles dans le vif, c'est une réaction épidermique à une "France d’hier" qui se raconte "un temps béni" et plus prosaïquement, une réponse à des insultes racistes que le chanteur a essuyées sur Internet.
Mais ce Rythmes et Botanique qui chante un Paris métèque multiculturel assez éloigné des images d’Épinal, est surtout un prétexte à une nouvelle tournée. Pour l’imaginer, Gaël Faye et son compositeur, le musicien Guillaume Poncelet (C2C, Hocus Pocus, Michel Jonasz…) ont puisé dans les enregistrements d’Alan Lomax. Cet ethnomusicologue a enregistré à partir des années 30, le folklore américain et il fut l’un des récipiendaires du blues, notamment recueilli auprès de marginaux. Revu et corrigé, cela donne donc Tôt le matin, ou un Solstice, porté par le spoken word de Saul Williams. Que dit cette chanson ? "Je voulais écrire sur le tremblement de terre du 12 janvier 2010 à Port-au-Prince, en ayant cette idée du jour le plus long, cet instant avant la bascule, le solstice".
Le basculement, Gaël Faye l’a déjà connu plusieurs fois. Désormais installé à Kigali, au Rwanda, le rappeur-romancier sera bientôt traduit en 26 langues grâce à son livre. Avec le blues, il attend ce jour où il pourra amener ses enfants de l’autre côté de la frontière, dans son Petit Pays voisin... enfin libéré du conflit qui le ronge à nouveau.
1"On se tourna vers le fleuve musculaire de l’Afrique / pour assurer la relève du désespoir (...) alors commença la bousculade échevelée vers le / rayonnant midi du corps noir (…) Peuple dévalisé, peuple de fond en comble retourné / comme une terre en labours (…) Mûris ton grisou dans le secret de ta nuit corporelle / nul n’osera plus couler des canons / et des pièces d’or dans le noir métal de ta colère en crues ! " ( René Depestre, Minerai noir, Présence Africaine, 1956).
Gaël Faye Rythmes et Botanique (Excuse My French) 2017