Krismenn, la recherche du breton perdu
Le rappeur Christophe Le Menn, alias Krismenn, a été l’une des très belles surprises des dernières TransMusicales de Rennes. Désormais en solo, il mêle des textes en langue bretonne à un blues très électronique. C’est aussi un véritable collecteur de chants traditionnels, qui se passionne pour la culture de sa région.
Lors des dernières TransMusicales de Rennes, Krismenn a joué sur les coups de minuit. Il était tard, bien sûr, mais cet horaire n’a rien d’extravagant pour un festival qui a l’habitude des nuits sans sommeil. Avec un guitariste faisant hennir son instrument au bottleneck et un batteur qui lance des samples, Christophe Le Menn, a donc avancé doucement. Il a rendu l’atmosphère crépusculaire et puis joué sur la tension qu’il y a entre le hip hop et un blues empreint de sonorités électroniques.
On l’avait déjà repéré au sein du duo Krismenn & Alem, mais c’est désormais en trio qu’il rappe. De l’un à l’autre, on est passé d’une musique de danse, traditionnelle, mêlée à du rap en langue bretonne, simplement inspiré de cette tradition. "Concrètement, quand j’ai voulu créer un album de rap et de musique électro, je suis parti de zéro. J’ai commencé la musique électronique par le beat-box, en reproduisant ces sons avec ma voix. Mais je voulais le faire pour de vrai, avec des machines. Pour les mélodies, je prenais ma guitare. C’est pour cela que la guitare est restée", raconte-t-il.
Rupture linguistique
Son premier album s’appelle donc N om gustumiñ deus an deñvalijenn, ce qu’il faut traduire par "s’habituer à l’obscurité", un titre pas nécessairement pessimiste. "J’habite dans un endroit vraiment sombre, en pleine forêt, explique le natif de Landerneau, dans le Finistère. C’est parti de là, et ce titre m’a parlé de plus en plus. Quand on va dehors et qu’il fait noir, on peut avoir peur, mais si on attend, on commence à discerner les formes. 'S’habituer à l’obscurité', c’est prendre le temps que les repères se fassent."
Aujourd’hui au cœur de la trentaine, Christophe Le Menn a derrière lui un bout de vie qui l’a mené à redécouvrir la culture de sa région, la Bretagne. Ses arrière-grands-parents et ses grands-parents parlaient le breton, tandis que ses parents ne le parlaient plus. Marqué par cette "rupture linguistique", le futur Krismenn n’a pas été sur les bancs des écoles bilingues, mais il s’est initié à la musique au bagad de Plougastel, intégré à l’âge de dix ans. C’est en voyant des chanteurs en fest-noz, les fêtes bretonnes, qu’il a "eu envie de faire la même chose".
Il a aussi glané des chants traditionnels auprès "des vieux, de 80/85 ans" et beaucoup écouté les archives de l’association Dastum, qui collecte le patrimoine oral breton. Fasciné par ces enregistrements, il s’est concentré sur le terroir de Poullaouen, où il vivait alors. "En écoutant toutes ces archives, c’est comme si on connaissait les gens, ils font partie de notre quotidien. J’ai même pu parler de certaines personnes qu’on entendait sur ces enregistrements", s’étonne-t-il, encore. L’écoute des Lomax recordings, ces compilations de vieux blues américains collectés par le célèbre ethnomusicologue Alan Lomax à partir des années 30, a prolongé cette quête.
Qu’en a retiré l’artiste, qui a eu le déclic du rap en breton en entendant des Québécois rapper dans leur français ? "Si je parle breton, ce n’est pas parce que je veux m’enfermer, au contraire... Je trouve important que chacun ait sa culture. On parle souvent de communautarisme et on voit souvent cela d’un mauvais œil. Alors qu’avoir une communauté linguistique, culturelle, c’est parler avec des gens, se retrouver autour de centres d’intérêt commun, s’ouvrir."
Krismenn N om gustumiñ deus an deñvalijenn (S’habituer à l’obscurité) (World Village/Harmonia Mundi/Pias) 2017