Trente ans de NTM

Le groupe NTM en concert à l'AccorHotels Arena de Paris, le 8 mars 2018. © Christophe Archambault / AFP

Ce 8 mars, les pionniers du rap français, Suprême NTM, célébraient ses trente ans sur la scène de l’AccorHotels Arena : le premier d’une série de trois concerts (8-9-10 mars). À 50 ans et des poussières, Joey Starr et Kool Shen ont prouvé qu’ils en avaient encore sous le capot. Avec une myriade d’invités – Busta Flex, Lord Kossity, Raggasonic, etc. – les deux compères ont fait rugir les tubes et claquer leurs punchlines, au fil d’un show impeccable. Reportage.

Une foule compacte se pressait ce jeudi 8 mars, devant l’AccorHotels Arena pris d’assaut pour les trois dates (8-9-10 mars) des icônes du rap français. Parmi les rangs, plutôt disciplinés ? Des bandes de trentenaires, de quadras encanaillés, venus de Paris, du 93, de l’Eure, d’Issoudun, de Lyon, bien décidés à renouer avec les heures rebelles de leur adolescence : une envie d’en découdre à nouveau avec l’ordre établi, à coup de punchlines qui collent aux mémoires.

"Les tauliers du rap français"

C’était il y a trente ans. Une tribu de mômes braillait dans les caves, éructait sa rage, repeignait les cités d’un verbe acéré. Venu des États-Unis, un courant explosait. Sur cette contagion hip hop, déjà, des rois émergeaient : le duo Kool Shen-Joey Starr.

Trente ans – en cette soirée anniversaire du Suprême NTM, huit ans après leurs derniers concerts communs au Parc des Princes (2010), les discours du public se parent de nostalgie et d’autodérision : "Bon, maintenant, on est adultes, parents, on est rangés des camions, mais on fera ce qu’on peut pour foutre le feu", sourit Julien. Ludivine, 41 ans, en nage, hurle toutes les paroles de ses idoles. Son compteur affiche moins 20 ans, jubile-t-elle.

Tous s’accordent : le rap, c’était mieux avant ! Et de ce style old school, NTM reste, selon eux, les maîtres indétrônables. Anissa, 31 ans et Karine, 35, résument : "NTM, ce sont des classiques, des incontournables. Ils ont ouvert la porte. Loin du bling-bling ou du cynisme du rap actuel, ils délivrent des messages authentiques : un rap 'vrai'. Et puis même s’ils décrivent une réalité hardcore, il y a toujours une échappatoire, un espoir, dans leurs textes."

 À leurs côtés, Thomas, 19 ans, et Nicolas, 22, confessent avoir été élevés au bon flow du duo. "Mon père mettait NTM en boucle dans l’autoradio quand il m’amenait à l’école", dit le premier. "Rien à faire, ce sont les tauliers du rap français", renchérit son pote. Marie-Claire, 41 ans, fan de la première heure a d’ailleurs amené son fils de 15 ans, Wilfried. "Suis-je une mère indigne ?" s’inquiète-t-elle. "Mais naaan, maman, t’inquiètes, c’est dix fois mieux que Maître Gims !", la rassure son petit blondinet à lunettes.

"Un concert, ça se vit !"

Sur tout ce beau monde, le noir tombe. Du plafond, sur des sons d’explosions, trois lettres dégringolent, gigantesques, habillées d’images projetées : N.T.M. Puis deux chiffres : 9.3. Sur ce décor, les deux mythes apparaissent, deux dinosaures, deux silhouettes paternelles, un timbre rauque, un rugissement : "Salut bande de prépubères, introduit Joey Star de son élégance naturelle. Alors, je vous préviens, vous allez lâcher vos téléphones, parce qu’un concert, ça ne se filme pas, ça se vit ! À nous deux, on a plus de cent ans. On va vous montrer ce que c’est l’ADN d’NTM !"

En trombe, le show démarre et vrombit sur les samples de DJ Pone, avec C’est clair et des bribes de Qu’est-ce qu’on attend. Puis c’est l’indémodable Passe le oinj. Forcément, y’a du monde sur la corde à linge... L’émotion affleure sur Tout n’est pas si facile. La connexion forte, indestructible malgré les séparations, se lit dans les regards échangés entre les deux complices lorsqu’ils enchaînent ces lyrics si familiers : "On a grandi ensemble, on a construit ensemble/ Je me remémore les discussions que l'on avait ensemble/ Et nos rêves, tu t'en souviens de nos rêves ?/ Quand on était dans les hangars, quand on sentait monter la fièvre (…)".

La machine de guerre NTM balance ses salves : Come Again, sur lequel rappe Ärsenik puis Aiguisé comme une lame avec Raggasonic. Joey Starr et Kool Shen jonglent avec leurs mots, balancent leurs corps, se renvoient comme des balles leurs deux énergies : sacrée complémentarité ! S’enchaînent Pose ton gun ("Boom boom bang, bad boy !"), Paris sous les bombes et l’incontournable Seine-Saint-Denis Style ("C’est d’la bombe Baby !"). Et le public de clamer en chœur : "A base de popopopop !".

Le feu laisse place aux frissons avec ces mots inauguraux de Kool Shen : "Cette chanson a vingt ans, mais elle reste d’actualité. Je dirais même qu’elle résonne encore avec plus d’urgence". Et les deux compères d’entamer l’émouvante et juste Laisse pas traîner ton fils. Et puis, c’est Police, qui leur valut, en 1996, une condamnation en justice. Une armada de majeurs se dresse dans la salle. Sur Ma Benz, avec un featuring de Lord Kossity, une artiste de pôle dance tournoie, et une tribu de danseuses en poom poom short se déhanchent de manière suggestive ("ma manière de célébrer la journée de la femme", rigole Joey Starr)

"That’s my people"

Un concert d’NTM à l’AccorHotels Arena, c’est le grand show, du son et lumière, un barnum formidable, des effets, un spectacle bien rôdé, parfois un peu trop sage, trop  policé. L’on se surprend alors, l’espace d’un instant, à rêver de cet "underground" envolé, d’une énergie renvoyée brute, sale, directe, d’un retour au sauvage, dans la sueur et les coups de poing, sans artifice : juste un flow, des mots et un rap qui claque. Mais pas de doute, les gars envoient. Du lourd.

Et enchaînent – Qui paiera les dégâts ?, Back dans les bacs… Quant à La Fièvre, Joey Starr refuse de la chanter : "Je la déteste. Elle me sèche." Qu’à cela ne tienne : le public l’entame en chœur. Sur That’s my people, Oxmo Puccino et Le Rat Luciano rejoignent le crew. Là encore, séquence émotion : "construire est ma seule excuse au fait de prendre de l'âge/ Si j'sens pas les miens autour de moi, putain/ C'est le naufrage assuré, c'est vrai ! (….)".

Sur IV my people de Kool Shen, débarquent Busta Flex et Lord Kossity. Des gosses – les leurs ?- investissent les planches et rejoignent la tribu. Après l’euphorie finale, le duo salue humblement son public. Sous les viva unanimes, ils se serrent dans les bras.

Trente ans. Une fois encore, Joey Starr et Kool Shen, loin d’être muséifiés, conjuguent, comme des gosses, leur rap au présent, plein de dynamites et de l’esprit originel du hip hop. En un mot : authentiques.

En concert les 9 et 10 mars à l’AccorHotels Arena

NTM Anthologie 2018