Soprano: rap pour tous
Le rap à Marseille en 2018 ? Il y a Jul, Julius (enfin, SCH qui reprend son prénom pour le titre de son nouvel album) et puis il y a Soprano. Fondateur du groupe historique Psy4 De La Rime avec Alonzo, Vincenzo et le DJ Sya Styles (RIP), il est depuis longtemps un artiste solo à succès. Son nouveau disque Phoenix est la suite logique de Cosmopolitanie et L’Everest, à savoir un disque ouvert sur le monde, plein de mélodies faciles d’accès mais aussi de messages sérieux. Car si Saïd (son prénom de naissance) est désormais jury de The Voice Kids et superstar de la scène française (il était sold out au Stade Vélodrome à Marseille, un exploit qu’il s’apprête à rééditer), il est aussi un artiste capable d’évoquer des thèmes sombres comme le harcèlement à l’école. Interview avec un des grands du rap marseillais, donc du rap français.
RFI Musique : Sopra, ce nouvel album est-il différent du précédent ou dans sa continuité ?
Soprano : C’est dans la continuité de L’Everest mais comme on va faire des concerts dans des stades, j’ai mis beaucoup de morceaux punchy.
Tu es le seul rappeur à avoir rempli le Stade Vélodrome de Marseille en 2017 !
C’était un truc de fou, jusqu’à aujourd’hui je ne m’en remets pas. On n’arrive pas à y croire. Quand on m’a dit que j’avais fait plus de monde que Paul McCartney, j’ai dit 'Oh les gars, ne me portez pas la guigne !' C’est super, j’y retourne avec trois autres stades, j’espère que ça va être la même ambiance et que les gens vont se régaler pareil.
Un des morceaux marquants de Phoenix, c’est Fragile, qui parle du harcèlement que subissent les enfants ?
Je reçois beaucoup de messages d’associations et ce qui revenait le plus, c’était sur le harcèlement à l’école et sur internet. C’est bizarre que les gens n’en parlent pas beaucoup alors que c’est un sujet du quotidien. Souvent, les enfants gardent ça pour eux. Il y a des enfants qui sont super doués, mais ils ont tellement peur qu’on se moque d’eux qu’ils font tout pour avoir des mauvaises notes, pour faire partie de ceux qui sont "cool". Et il y en a qui se suicident, d’autres qui ont la boule au ventre. Je me suis dit que ce morceau pouvait faire réagir ceux qui écoutent mes textes, surtout les parents. J’avais la mélodie du refrain, mais je ne savais pas comment l’écrire. Ce qui a été le déclencheur, c’est quand ma fille est rentrée au collège. C’est un autre monde, on y est confronté à d’autres personnalités, d’autres libertés. J’ai eu peur, je lui ai beaucoup parlé, expliqué que certains allaient venir la voir parce qu’elle était la fille de Soprano. Ensuite, les textes sont venus direct : premier couplet sur l’école, deuxième couplet sur Internet, et le troisième où je lui parle.
Ça t’arrive de penser qu’aujourd’hui, certains textes du rap français vont trop loin ?
Regarde, je vais te donner un exemple : Il y a une chanson de SCH que j’aime beaucoup, Champs-Élysées. Eh bien quand elle est passée dans la voiture et que ma fille était à côté, la phrase 'Elle est pas montée qu’elle est déjà mouillée', oh putain ! Je ne l’avais pas vu comme ça cette phrase, moi ! Et ça m’a mis la réalité en pleine figure. Quand tu écoutes un morceau de rap, c’est parfois dur, vulgaire, hardcore, moi je sais que c’est pour rigoler. Quand j’écoutais les morceaux de Booba ou de NTM j’étais comme Vincent Cassel qui se regarde dans le miroir dans le film La Haine. Tu joues. Tu fais le gangster, tu le prends au second degré. Je sais faire la différence entre Tony Montana et Al Pacino, quoi ! Mais c’est vrai que la société d’aujourd’hui est tellement dure qu’il y a beaucoup de jeunes qui prennent tout au premier degré.
Comment es-tu devenu jury de The Voice Kids ?
Ils m’avaient déjà appelé l’année dernière quand M. Pokora était parti, pour être sur une émission, et j’avais kiffé. J’ai vu des enfants avec une culture musicale qui m’a choqué. Et surtout j’ai senti une super pédagogie autour de tous ces jeunes, c’est ça qui m’a donné envie. En plus j’ai toujours aimé le concept de l’émission, c’est complètement dans mon délire. Que tu sois petit, grand, blanc, noir, si tu as une voix, je me retourne.
Tu te frottes pour la première fois au reggae avec Ram Pam Pam, dont l’intro est signée Tiken Jah Fakoly ?
Mon rêve depuis toujours, c'était de faire un morceau reggae. Et à chaque fois que j’en faisais en maquette quand je travaillais un album, je ne l’aimais pas, je ne trouvais pas la bonne production. Et d’un coup, je trouve cette prod là, je fais la chanson et je me dis 'Là, c’est bon'. C’est du reggae pour les concerts, j’ai pensé au morceau de Rihanna Man Down. Quand j’ai enregistré la chanson, je me suis dit qu’il fallait quelqu’un pour l’introduire. J’aime Tiken Jah, on a déjà travaillé ensemble sur son album pour Ouvrez Les Frontières, alors je l’ai appelé, parce qu’il représente le côté engagé du reggae africain.
Tu as d’autres invités rap : Niska, Soolking, ton ami Vincenzo des Psy4…
Soolking est sur Cantare. Je l’aime depuis longtemps j’avais apprécié sa chanson Guerilla. Il a un côté urbain, rap à l’américaine, façon Migos dans les placements, et sa voix me touche beaucoup. Niska est sur Zoum, c’est le morceau egotrip rap de l’album, un salsa trap. Il s’est retenu un peu, il a du se dire 'Je suis avec Sopra, quand même !' (rire), mais il l’a bien fait. Le Coach avec Vincenzo, c’est un morceau afro comme on en entend aujourd’hui, avec MHD ou Naza, mais je l’ai pensé un peu différemment. C’est une chanson pour évacuer, je me met dans la peau d’un coach. C’est le boulot de Vincenzo en plus, il est plus crédible que moi qui suis tout maigre et qui fait de la course de temps en temps avec un bide de mec de 40 ans ! Et sur chaque album, il y a toujours un membre des Psy4, toujours, toujours. En concert ça va être quelque chose, en plus on a une petite idée, ça va être très fun.
Soprano Phoenix (Parlophone/Warner Music) 2018
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