Columbine, incassable fragilité

Le duo Foda C. et Luji alias Columbine. © Simon Boucris

A l'occasion de la réédition de leur dernier album augmenté de dix titres inédits, "Adieu, Au revoir", Foda C et Lujipeka, reviennent sur les débuts de Columbine et goûtent l'instant présent quelques semaines après une tournée et une prestation au Zénith qui les a comblés. Le collectif rennais, en perpétuelle évolution, s'afffirme plus que jamais comme une valeur sûre du rap français.

C’est une évidence pour tous ceux qui suivent leur carrière : Columbine est passé du stade de révélation à celui de valeur sûre. Une évolution amplifiée par la réédition de leur dernier album augmenté de dix inédits dont le single C’est pas grave, une ritournelle "popisante" et entêtante qui multiplie les streams et fait office de bande-son pour l’été 2019.

"Minimum platinium ou j’abandonne". Une rime osée contenue dans la chanson qui donne son titre à ce dernier album, Adieu Bientôt, réédité sous le titre Adieu, Au Revoir. Comme un écho à la formule "Le disque d’or on le fera fondre" dans le morceau Rémi, écrit à une époque où le groupe pensait un tel objectif inatteignable. "Est-ce qu’on arrête la musique ou est-ce qu’on continue pour toute la vie ?" se demandait Lujipeka au moment de la sortie de ce troisième opus, leur plus ambitieux et qui se voit désormais certifié Disque de platine, réalisant ainsi leur prophétie auto réalisatrice. Une première pour ce duo rennais jadis surpris d’atteindre le Disque d’or avec le précédent LP Enfants Terribles (qui par effet d’entrainement a lui aussi été certifié Platine depuis).

La thématique de l’enfance est une constante dans les textes de Columbine, dont le nom renvoie à la fois à l’innocence des années lycée et à la tragédie de cette école américaine du Colorado où périrent douze élèves et un professeur en 1999, un fait divers qui inspira le film de Gus Van Sant Elephant, Palme d’or à Cannes en 2003 et film culte des rappeurs.

"On a commencé à se faire connaître après avoir fait une quinzaine de clips", se souvient Foda C. Lujipeka, confirme l’autarcie du groupe à ses débuts : "Les premières années, on réalisait nous-mêmes les clips et on enregistrait tout seul nos sons. On s’est amélioré de morceau en morceau, on a acquis une certaine maturité, on a travaillé. On avait tout le temps la tête dans la musique, c’est comme ça qu’on a pris du niveau. On s’est trouvé artistiquement avec le temps".

Fragilité et mélancolie

Au-delà de la provoc’ du nom, appuyée par un logo représentant une colombe mêlée à une Kalachnikov, c’est l’émotion, et même une certaine fragilité, qui caractérise ce groupe devenu en quelques mois l’Indochine 2.0, le Noir Désir du hip-hop autotuné et nostalgique. "Les émotions, c’est ce qui s’est le plus décomplexé dans le rap récemment. Il n’y a pas que nous, la mélancolie est très présente dans le rap français aujourd’hui" affirme Lujipeka. Et il n’a pas tort.

À l’ombre de Booba, Kaaris, 13 Block ou Koba LaD, des rappeurs français qui cultivent l’orthodoxie viriliste de cette musique volontiers machiste, toute une frange du rap français suit une nouvelle trajectoire, celle d’artistes capables de narrer leurs fêlures, leurs peines de cœur, leurs doutes, leurs ruptures. "Comme si ce monde n’était pas fait pour moi", chante avec l’énergie du désespoir Lujipeka dans son solo Borderline, une des grosses réussites de l’album Adieu Bientôt.

Dans Virgin Suicide, Foda C laisse libre court à ses idées sombres en évoquant les scarifications adolescentes ("Des marques bleues sous les manches longues") et se met le temps d’une rime dans la peau de Dylan Klebold, "œil au beurre noir, j’ai rêvé du port d’arme pour me venger".

Un public sous le charme

Le concert au Zénith de Paris le 11 avril dernier n’a fait que confirmer la montée en puissance de Columbine, avec 4000 fans suspendus aux lèvres des deux rappeurs, rock stars triomphantes et émouvantes à la fois, Lujipeka finissant torse nu tandis que Foda C arpentait la scène de long en large en rappant des textes qui tous étaient repris en chœur par la foule. Foda C : "Le Zénith à Paris, c’était vraiment notre meilleure date au niveau du ressenti. On était hyper à l’aise sur scène et on était contents de notre prestation, c’était un peu notre apogée. L’alliage avec le public très réactif était extraordinaire". On imagine déjà la folie bretonne quand les Rennais vont monter sur la scène Grall des Vieilles Charrues de Carhaix le 18 juillet…

On a beaucoup dit, et ça n’est pas faux, que les textes du rap français des années 2010 avaient abandonné le militantisme et le fond pour se résumer à quelques punchlines et autres célébrations de l’étourdissement des sens, racontant des soirées en club, voire célébrant certains psychotropes.

Avec Columbine, on retrouve une intensité de contenu, loin de la revendication, mais au plus près des préoccupations des milleniums, ces enfants du 21e siècle nés dans l’ultra technologie qui connaissent malgré tout les mêmes peines de cœur et problèmes relationnels que leurs ainés. Logique donc que Columbine suscite la ferveur d’un public avide de sens et de sensations, qui se reconnaît dans les récits teenage du duo. Un duo qui refuse d’abandonner sa part d’enfance tout en affirmant une maturité textuelle de plus en plus visible.

Et le futur, que leur réserve-t-il ? La multiplication des morceaux solos sur leur dernier album pose la question des albums individuels de Luji et Foda C, qui de leur propre aveu verront le jour prochainement. Seront-ils victimes du syndrome Wham!, ce groupe britannique des années 1980 formé lui aussi par deux amis d’enfance et dont l’un des membres devint une superstar mondiale (George Michael) tandis que l’autre sombra dans l’anonymat après un album solo passé inaperçu (Andrew Ridgeley) ?

Il est bien trop tôt pour le dire. En attendant ce moment de vérité, il convient de goûter le présent et d’apprécier le vent de fraicheur que ce groupe atypique apporte au rap français. Adieu Bientôt ? Non, au revoir et à très bientôt, Columbine.  

Columbine Adieu, Au Revoir (Initial Artist Services) 2019

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