Leto, vive le 17

Le rappeur Leto publie l'album "100 visages". © FIFOU

Si la notoriété de Leto n’a pour l’instant impacté que les amateurs éclairés, la sortie de 100 visages, son nouveau projet, pourrait bien projeter l’artiste parisien vers de plus hautes sphères, voire vers une partie de ce fameux "grand public" que vise désormais le rap français.

Flashback, courant 2014 : Leto (dont le nom est une référence directe à Leïto, le personnage joué par David Bell dans Banlieue 13, film d’action produit par Luc Besson en 2004) et son acolyte Aéro lancent PSO Thug. Le sigle de trois lettres représente les initiales de leur quartier du 17e arrondissement de Paris, la Porte de Saint-Ouen. Leur mixtape Demoniak, sortie en 2016, invite Sadek et Hayce Lemsi. Des tracks comme Plein les poches ou Règles du jeu sont de bons exemples de ce rap nerveux, blindé de textes brutaux fascinés par l’illicite, avec quelques éclairs de pessimiste lucidité ("J’ai fait que fumer boire donc j’ai creusé ma tombe", lâche Aéro dans Cauchemar). 

"PSO Thug faut jamais que ça s'arrête"

En 2018, Leto part en solo avec Trapstar, intégralement produit par la team Katrina Squad. Pochette simple et efficace signée Fifou (la star visuelle du rap français, pour ceux qui ne le connaitraient pas), textes gonflés à la testostérone ("On veut mourir plein aux as, criblés de balles/ Enfile ta cagoule pour un gros casse/ J’ai le flow d’un Rolling Stone/ Aller-retour de plusieurs tonnes" dans Lady Gaga) : L’artillerie est lourde, le retentissement certain. 

D’ailleurs, l’unique featuring est loin d’être anodin. Puissant et efficace comme à son habitude, Ninho pose sur Avon Barksdale (référence à un boss dealer de la série The Wire, sur laquelle le morceau est basé), et le résultat de l’équation "Leto + Ninho + Ace Loocky de Katrina Squad = banger" est certifié. "Déjà Ninho c’est son année", assurait Leto dans La sauce en avril 2018, "et je voulais un banger de fils de pute, t’as capté ? Et nous deux quand on fait un son sur une grosse prod’, c’est un banger sûr". Si les thèmes sont souvent imbibés de violence verbale et d’images de rue, on note aussi, par bribes, des punchlines plus personnelles, à l’image de cette sombre strophe de La rue dort ap"Papa fait le mort quand maman fait la guerre"

Suivront Double Bang, Trapstar 2 (quasiment disque d’or) et le EP Virus avant l’album. C’est l’accélération des vues, des freestyles, la radicalisation d’un son lourd qui doit beaucoup à la trap américaine.

Le travail en solo de Leto s’intensifiant, sa cote monte de façon exponentielle. Les trois millions de vues du clip Nouveaux riches (featuring Niska), deuxième extrait du nouvel album après Paris c'est magique, en sont la preuve la plus récente. La fin de PSO Thug ? Déjà en 2018 sur OKLM, Leto en écartait l’idée : "Depuis longtemps, tout le monde voulait du Leto en solo, mais PSO Thug c’est un truc, faut jamais que ça s’arrête". De fait, quelques mois avant 100 Visages, le EP 8 titres Code 1.8.7 : Introduction venait rappeler que le duo du 17e n’avait pas dit son dernier mot, loin de là. Avec une incursion dans le 93 via Temps Plein featuring Mac Tyer ("En direct d’Auber avec Socrate et Rémy/ J’suis dans l’Audi, je fais du rallye"), ce projet permet à Leto de ne pas se couper de ses racines et de garder dans la lumière son sidekick Aéro. 

100 visages

Mais le véritable enjeu, c’est celui de cet album solo de 15 titres (18 avec les bonus Jack Sparrow, Tiens le coup et On regrette rien), où les featurings poids lourds abondent. Six ans après ses débuts, Leto est-il donc prêt pour le proverbial "album de la maturité" ? 100 visages fera-t-il "badaboum dans toutes les tess", comme il l’affirmait dans son freestyle Double Bang 9 sorti en mars dernier.

Une nouvelle fois (la cinquième), Leto se ressert du flow de Ninho pour faire de Macaroni, un duo détonnant. Le morceau démarre sur un tempo cool pour accélérer après deux minutes avec un récit de dealer énervé ("Le terrain c’est 11h30 pas midi enculé, t’as raté des clients!"). Booba lâche quelques punchlines désabusées sur "Charbon" ("Je dis la vérité, je ne mens que quand je passe aux aveux"), produit par HolloMobb et Boumidjal, tandis que Soolking est au refrain autotuné pour T’es allée où ?, single potentiel compatible avec un très large public.

Niska dynamite Nouveaux riches et Lacrim, cinquième et dernier feat, lâche un couplet menaçant sur Big Money, livrant également quelques détails intimes sur son service trois pièces ("Je la ken pendant une heure/ Je suis un gros, c’est pas qu’une rumeur").  
"Tu voulais de la violence ? Voilà !" balance Leto avec Niska, comme un résumé de cet album qui enchaine les images fortes sans oublier d’apporter une nouvelle facette, plus apaisée, comme dans Le nord où Leto se remémore sur un cool tempo une enfance gangrénée par la pauvreté ("On a grandi dans des HLMs remplis de cafards/ Pour du gen-ar ça se rafale comme à Compton"). 

Que les fans hardcore et les amateurs de bangers se rassurent, ils sont servis avec Nicki et Tristesse. Si l’époque n’était pas aussi déglinguée, on imaginerait bien Leto défendre ce disque dur sur des grandes scènes. On arrive néanmoins facilement à l’imaginer disque d’or. 

Leto 100 visages (Rec 118/Warner Music) 2020

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