Sofiane Pamart : qui est vraiment le nouveau "Piano King"?

Le pianiste Sofiane Pamart. © Romain Garcin

Depuis deux ans, il défraie la chronique. Formé en piano en conservatoire classique, il joue aujourd’hui avec les plus grands rappeurs, comme Médine, Scylla ou Vald… Et a déjà sorti deux disques de piano solo, qui enthousiasment le grand public. Mais qui est donc ce nouveau prodige du piano qui fait exploser les codes et bouleverse les frontières stylistiques, entre rap, classique et variété ?

Les 10 et 18 février derniers, il foulait la scène de la Salle Pleyel, institution parisienne prestigieuse consacrée autrefois aux concerts classiques. Face à une assistance compacte – deux shows à guichets fermés –, parcourue par une émotion et une ferveur palpables, Sofiane Pamart, à mille lieux de la traditionnelle queue de pie des concertistes, vêtu d’un flamboyant et somptueux kimono japonais, petites lunettes fumées à la John Lennon et cheveux peroxydée, s’installe face au piano mastodonte.

De ses doigts virtuoses, décorés de bagues rutilantes, jaillissent des mélodies lumineuses, minimalistes, à la clarté évidente. Au-dessus du piano, une énorme tête de robot, aux yeux comme des faisceaux, plane. De sa voix métallique, elle invite les spectateurs-voyageurs, à embarquer dans le périple musical de l’artiste.

Le prodige du piano a en effet composé ses deux disques, Planet (2019) et Letter (2022), lors de ses multiples étapes autour du globe… À l’issue du concert, les fans se pressent au stand de merchandising. Ses partitions, tout juste imprimées, s’arrachent comme des petits pains...

Ces soir-là, Sofiane Pamart, estampillé "pianiste star des rappeurs", remarqué pour ses collaborations avec Médine, Scylla, Joey Starr, Zola, Vald, etc. et ses deux disques de platine pour ses créations hip hop, a fait voler en éclats tous les codes, se jouant allègrement des frontières érigées entre classique, pop, variété, rap, etc.

Le jeune homme né en 1990 veut créer de la "musique populaire", au sens noble du terme. "Je compose pour être aimé de mes contemporains, et non pour porter des lauriers de manière posthume", argue ce premier pianiste solo qui remplira Bercy le 17 novembre prochain

Oreille absolue et conservatoire

Les premières notes de sa fulgurante épopée résonnent à Lille au début des années 1990. Haut comme trois pommes, il reproduit d’oreille sur un piano-jouet les mélodies qui lui collent à la peau. De quoi mettre la puce à l’oreille de ses parents qui l’inscrivent dare-dare au conservatoire, en classe de piano.

L’enfant y révèle d’étonnantes dispositions. "Je possédais un moyen d’expression qui m’était propre, qui me permettait de me distinguer de mon petit frère et de ma petite sœur", se rappelle-t-il. Dans l’élève doué, certains enseignants de cette institution à la rigidité notoire, projettent leurs rêves, tentent d’inscrire leur répertoire de prédilection.

Et puis, il y en a d’autres, davantage à l’écoute, plus humbles, qui savent dénicher les morceaux qui correspondent à ses goûts, à son tempérament, à ses talents. Il y a aussi ce "maître" qui, lorsque l’enfant tétanisé glisse sur une fausse note, sait le rassurer : "Ne t’en fais pas… Sauf si la police t’a vu !" De quoi donner confiance au jeune apprenti.

Lors du Prix qui ponctue son cursus, il présente trois morceaux qui lui vont aux doigts comme des gants : la tempétueuse et volcanique Kreisleriana de Schumann, l’Alborada del Gracioso de Ravel avec ses traits hispaniques et électriques, ses influences arabo-andalouses et la quatrième ballade de Chopin, son maître absolu. "Je l’adore. Tout, chez lui, se met au service de la mélodie", confesse-t-il. 

Si Sofiane parvient à décrocher haut la main cette prestigieuse distinction du conservatoire, son apprentissage ne fut pas un long fleuve tranquille. Il se révèle dissipé, survolté, reste difficilement assis derrière son piano, travaille de façon irrégulière… Mais l’un des traits de sa personnalité éclot dès l’enfance : "J’aime le challenge. On arrive à m’avoir grâce au défi technique. Je marche à l’obsession…", éclaire-t-il.

Et puis, s’il ne craint pas ses professeurs, il redoute en revanche les reproches de sa mère. Son excellence au piano lui permet aussi de rendre hommage aux sacrifices de son grand-père maternel d’origine berbère marocaine, venu en France pour travailler comme mineur de fond et disparu lors d’un coup de grisou…  

Si Sofiane se révèle fan de classique, il aime aussi particulièrement une autre musique – le rap. Pour lui, les hiérarchies dans les styles musicaux relèvent de l’aberration, de l’absurdité : le classique peut être populaire, et le rap aussi exigeant que la "grande musique".

 

Ainsi, lorsque sa carrière se profile à l’horizon, il crée une web TV, où il accompagne des rappeurs. Dès lors, son téléphone commence à sonner, et tout s’emballe, au fil de collaborations hétéroclites, en duo avec le Belge Arno ou avec la chanteuse jazz Kimberose. 

"Le numéro 1 mondial du piano"

En 2019, il sort son premier disque solo, Planet, composé autour du monde. Et voici aujourd’hui Letter, créé dans "Votre amour m’a sauvé de la solitude pour toujours (...), écrit-il dans la missive qui accompagne l’album. Tant d’heures, tant d’années devant mon instrument. Tant d’heures, tant d’années à être seul (...). Maintenant, nous sommes unis (...). La musique est ma langue maternelle. Je continuerai à partager ces mélodies et ces émotions qui courent en moi (...) Ce voyage n’est que le début." Pour composer, Sofiane joue au diapason de ses émotions. Et lorsqu’une version lui convient, il l’enregistre, l’édite en partition, l’apprend par cœur, et n’en change plus une seule note… Ses fans veillent au grain. 

Pour lui, le piano, cet instrument impressionnant, bijou de technologie, fruit de traditions ancestrales, reste un défi, un animal sauvage à toujours dompter, un clavier qui l’attire toujours, comme une dope. Guère étonnant, alors, qu’il s’autoproclame déjà "Piano King" et déclare vouloir devenir, modestement, le "numéro 1 mondial du piano".

Et lorsqu’on lui fait remarquer, gentiment, que ce titre n’a aucun sens, car il ne saurait y avoir d’échelles de valeur, il rétorque : "Je suis un challenger. Tous les artistes sont des challengers. Je veux devenir le pianiste le plus touchant, le plus populaire. Le nombre de disques vendus peut servir d’indicateur. Je veux être numéro 1 dans le cœur du public"

Luxe et bling bling

À 31 ans, Sofiane ne se refuse aucun défi. Et sa vie, depuis deux ans, prend des directions inattendues, voire cosmiques : il a, en vrac, lancé la nouvelle collection internationale de la marque de luxe Cartier à Berlin, joué son répertoire pour le gala privé de la famille royale de la République Thèque dans un château de Prague ; il joue l’ambassadeur de luxe pour Bechstein, la Rolls-Royce des pianos ; et prépare un concert unique à l’Opéra de Nice avec l’Orchestre Philharmonique et les chœurs de l’opéra.

Rien ne semble pouvoir stopper sa fulgurante trajectoire... Pourtant, Sofiane garde la tête froide et les manières simples d’un "bon copain". Zen, ce fan de manga, ex-pratiquant d’arts martiaux a eu le temps de planifier son succès, qui ne l’étonne guère. 

Et s’il se brûle les ailes ? Il trouvera d’autres routes, d’autres façons de s’émerveiller. Il lui restera de toute façon, sa voie ultime, son ascèse, son chemin et sa ligne de vie : 88 touches en noir et blanc. 

► À écouter aussi sur RFI : Reportage culture : Le pianiste Sofiane Pamart sort son deuxième album «Letter»

Sofiane Pamart Letter ([Pias] Recordings) 2022
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