Disiz, l'amour du rap

Le chanteur Disiz, dans son clip "Casino" © Yagooz

Absent des bacs depuis le demi-échec de Disizilla en 2018, Disiz, alias Sérigne M’Baye Gueye, revient en force avec L’Amour, son projet le plus personnel, où l’on croise Damso et Yseult. Interview, concert, nouveau départ.

 

On est en 2018, et Disiz sort, à peine plus d’un an après l’acclamé Pacifique, l’album Disizilla, avec en featuring Niska et Fianso. Échec commercial, ce disque contenant pourtant quelques très bons titres court après la modernité de l’époque, mais ne parvient pas à la rattraper.

Ce sera également son dernier album pour Polydor, sa maison de disques. Après 20 ans passés majoritairement dans l’univers impitoyable des majors, Disiz va goûter les joies et les peines de l’indépendance.

S’il est vrai qu’un artiste authentique se reconnait à sa façon de faire face à l’échec, alors il est clair que Disiz fait partie des grands. MC inclassable, il a écrit des romans (René en 2012), est retourné aux études en 2010 (en fac de droit) et a annoncé son retrait du rap français en 2009 avec l’album Disiz The End pour tenter sa chance dans le rock avec l’album Dans le ventre du crocodile, sous l’alias Peter Punk. Échec cuisant, pire : le disque ne suscite pas la colère, mais plutôt l’indifférence des amateurs de rock et de rap.

"Quand j’ai enregistré l’album Peter Punk, j’étais dans un état d’esprit de rupture, avec le rap et plein de choses, et dans une espèce de volonté d’expérimenter avec des musiques que j’aimais bien, mais que je n’osais pas vraiment faire" explique Disiz en 2022. D’autres auraient baissé les bras, pas lui.

"En vrai, avec le recul, j’ai appris de cet échec. Ce suicide artistique entre guillemets, ça a fait table rase de pas mal de choses et ça m’a mis dans une case où on ne s’attendait plus à grand-chose de moi, tout en sachant que je pouvais surprendre à tout moment. Ça m’a désentravé par rapport au milieu du rap, et ça m’a permis plus tard d’explorer d’autres choses que je maitrisais mieux, comme sur Pacifique ou là sur L’Amour".

L’Amour, donc. Jamais le terme "disque personnel" n’aura été autant approprié. Car L’Amour est encore plus que cela : c’est un album intime, comme ont pu l’être par le passé SOS de Diam’s ou L’Amour est mort d’Oxmo Puccino. Diam’s chantait sa condition bipolaire, sa tentative de suicide, son internement en psychiatrie. Sérigne, lui, parle de son divorce, des relations de transition, des jeux de l’amour et du hasard. "Au fond des yeux, j’ai des trous noirs/ Fœtus aveugle dans le placenta/ Avant de sortir, c’était tout noir/ Mais quand t’es là, allé-alléluia" (Alleluia).

Concert en avant-première de la sortie de l'album

Pour lancer ce nouveau disque annoncé le jour de la Saint-Valentin, un concert parisien, le 16 mars, au Trianon, deux jours avant la sortie de l’album. Une stratégie parallèle à celle de Stromae, qui lui aussi présentait son Multitude avant sa sortie commerciale, et après un long silence artistique. Hasard ? Peut-être, en tout cas les deux artistes ont déjà collaboré dans le passé.

Première raison d’avoir foi en l’avenir pour Disiz : ce show au Trianon fut sold out en un temps record. OK, le Trianon est une salle intime par rapport à l’Accor Arena de Stromae, mais quand même. Il est 20h56 quand les lumières s’éteignent. Quatre musiciens viennent s’installer. Pas de DJ, de danseurs ou d'invités prestigieux, juste un homme de 43 ans qui démarre assis la première chanson, Tue l’amour, où le temps joue le rôle du grand séparateur des âmes. "C’est le temps qui tue l’amour, le futur me fait la cour et cette putain de routine nous fait vivre en looping".

Suivront Sublime, qui ouvre l’album, puis Weekend lover. Le public comprend que le concert sera majoritairement celui de la découverte du nouvel album. Si seulement quatre morceaux ont été révélés peu de temps avant la sortie, c’est assez pour que les fans les aient appris par cœur.

Un novice entrant dans la salle pourrait croire assister à un concert enchainant les classiques. "Vous vous rendez compte, les morceaux que vous écoutez, vous ne les connaissez pas encore, c’est la première fois que je les joue !" lance Disiz entre deux titres, ajoutant avec un grand sourire : "Le Trianon rempli en vingt minutes, vous êtes sérieux ?"

Quand démarre Catcheur, la voix d’Yseult sort des enceintes. Elle n’est pas là, mais elle hante cette compo intense. "J’sais pas qui j’suis, moi", lance Disiz. Le public, lui, le sait. Et l’aime pour ça. Pour Poids lourd, il redevient Sérigne le temps d’une chanson, un conteur au ton égal qui raconte des histoires en musique. Un morceau difficile à écrire, comme il l’avait confessé lors d’une discussion avec ses fans. Le backing volontairement minimaliste du groupe est un additif parfait à ces récits de perte, de ruptures, de cœurs brisés qui se réparent dans la douleur.

Avec Dispo, Disiz pratique l’anaphore, répétant tel un mantra "La vie c’est beau", comme une bouée de Coué, Ftentant l’auto-conviction avec trop de jovialité pour qu’on y croie vraiment. Peu importe, le public chante, emporté dans le monde des amours délicieuses et douloureuses de l’artiste.

Pour Beaugarçonne, Disiz prend une guitare acoustique… Puis lance dans un éclat de rire qu’il ne sait pas en jouer, se met à genoux et la tend à son guitariste. Le morceau adopte un groove à la Prince, ça ressemble à un tube. Quand arrive Casino, que la foule connait et chante à tue-tête, le passé rentre en collision avec le présent. "Au bord de la plage y’avait tant d’amour, y’en a plus du tout, ouh-ouh-ouh". Une référence directe à Fais la mer (album Peter Punk), dans le clip duquel Disiz était face à la mer, dans les bras de sa femme dont il s’est depuis séparé.

Comme un ovni au milieu de cet océan de nouveautés, arrive Autodance, accompagné d’une discussion avec une spectatrice que Disiz incite à danser toute seule. "J’aime pas les rappels", précise-t-il avant d’annoncer qu’il va jouer deux derniers titres, C’est le love ma gueule et une seconde ration de Casino avec LucasV.

Remise en cause

L’élégance de Disiz fait penser à un Alain Chamfort de la rime. "J’espère que l’amour va se répandre dans le monde", lâche le MC avant de s’éclipser. C’est la fin du show, dans une trentaine d’heures l’album sera disponible sur tous les réseaux de streaming et en mode physique.

"Dans ce nouveau disque, il y a le même virage que dans mon album signé Peter Punk, mais beaucoup plus maitrisé, je chante vraiment alors qu’il y a dix ans, c’était plus difficile". Les temps ont changé, certes, mais Disiz aussi. C’est pour ça que ce disque est aussi intense : c’est l’album d’un artiste qui a accepté de se remettre en cause, et qui s’en est donné les moyens.

"Il y a les déclinistes chez les philosophes et les littéraires. En général, les majors et même les artistes suivent ce qui se fait ailleurs pour s’autoriser à le faire. La France regarde toujours ce qui se fait outre-Atlantique. Quand Frank Ocean reprend Coldplay ou les Eagles et met des guitares, c’est ce qu’il est, et tout de suite, c’est considéré comme stylé. Là tu as un artiste comme Dijon qui lui aussi remet des guitares, et c’est cool. La France n’est pas trop précurseur sur des tendances musicales. Depuis les yé-yés, on regarde ce qui se fait ailleurs. Dijon, il est un peu dans la queue de comète de Frank Ocean, il propose quelque chose de différent, avec beaucoup de guitares, et je trouve ça très cool. (…) Lui ça va se répandre de plus en plus, espérons que ça soit une porte d’entrée de la guitare dans le hip hop. En tout cas, moi j’en ai mis dans mon disque L’Amour".

La renaissance de Disiz a commencé. Nouveau disque, nouvelle vie, avec une fan base qui ne demande qu’à s’agrandir. Dans un univers rap français où l’offre est très majoritairement festive et peu exigeante en termes d’écriture, Disiz revient jouer sa partition à lui, un mélange de langage soutenu, de virtuosité linguistique et d’émotions fortes, le tout avec une bonne dose de mélodies mélancoliques et de compositions ambitieuses. Et cette fois, il pourrait bien revenir tutoyer ces sommets qu’il a atteints à de multiples reprises dans sa longue et riche carrière. Disiz… A new beginning ?

Disiz L'amour (Carré bleu / Sublime / Capitol) 2022
Facebook / Twitter / Instagram / YouTube