Nessbeal, zonard de la rime
Après dix ans sans sortir d’album, le rappeur boulonnais Nessbeal est de retour avec Zonard des étoiles, 14 titres solides et les featurings d’Orelsan, ZKR, Landy et PLK. Portrait d’un franc-tireur du rap français.
"L’album de Ness est sorti. J’suis en feat sur Tous les jours dimanche. On est de retour ! Trop content d’être sur l’album, il est inccrr". Un tweet signé Orelsan (compte certifié) qui démontre s’il en était besoin que Nessbeal, né Nabil Selhy, 44 ans cet été, fait partie des "old timers" qui comptent dans le monde du rap français.
Pourtant, Nessbeal est quasiment inconnu du grand public. Aucun hit massif à son actif, mais des chansons qui ont compté pour les amateurs avisés : L’Œil du mensonge, Amnesia (La Salade), À chaque jour suffit sa peine, L’Histoire d’un mec qui coule. Une popularité qui rappelle celle de Salif, un autre rappeur des nineties qui a toujours eu le respect de ses pairs.
Il fait ses premières apparitions au milieu des années 90 avec le trio Dicidens dont le premier album, HLM Rezidants, voit le jour en 2004. Avant la sortie de ce premier essai resté confidentiel, Nessbeal intègre 92i, le collectif monté par Booba, avec qui il rappera sur cinq titres (Sans ratures sur l’album Temps mort en 2002, Tout ce qu’on connaît et Les Rues de ma vie sur la BO de Taxi 3 en 2003, Baby sur l’album Panthéon en 2004, Bâtiment C Part II sur la compilation Illicite Projet en 2005).
Quatre albums solo de Nessbeal sortent, d’abord le très acclamé La Mélodie des briques en 2006 suivi de Rois sans couronne en 2008, majoritairement produit par Skread, tout comme son successeur NE2S, qui malgré les feats d’Orelsan et La Fouine ne parvient pas à obtenir la certification Or durant sa période d’exploitation.
Troisième retour en 2011 avec Sélection naturelle, second album de l’opération Tempête du désert, soit la sortie en cascade des albums d’Orelsan (septembre), Nessbeal (octobre) et la chanteuse Isleym (novembre), tous produits par Skread. "J’ai appelé l’album Sélection naturelle pour l’époque où on vit, une époque apocalyptique où l’homme est devenu pire que l’animal (…) Je suis un jeune lionceau et je me dois de survivre dans cette jungle urbaine", expliquait alors Nessbeal à Canal Street.
Silence rapologique
Et puis… Plus rien, ou presque. Il annonce en 2011 vouloir quitter le monde du rap. Pendant dix ans, Nessbeal ne sort aucun album, et ses apparitions se font rares : quelques featurings avec Mister You, Lacrim et Zesau, son ex-collègue de Dicidens, c’est tout.
En 2019, surprise, il apparaît comme acteur dans le film Paradise Beach, polar français de Xavier Durringer au casting duquel on trouve Kool Shen (NTM), Seth Gueko et Dosseh. Et en 2020, il participe vite fait à Rentrez pas dans ma tête, un des morceaux de l’album de Jul, La Machine.
Prélude au retour : une compilation de 23 titres sortis à droite à gauche prépare le terrain pour un retour en solo, qui arrivera deux ans plus tard. 2022, cette fois Nessbeal sort l’album Zonard des étoiles, un come-back qui a de quoi satisfaire tous ceux qui se languissaient de lui.
"J’entendais ce que disaient les gens, les références, ça m’a fait plaisir, ça m’a touché et ça m’a fait comprendre qu’il fallait redonner un peu de son, retourner en studio, envoyer de la musique. Les gens en veulent encore, et je suis rentré en studio par kif", explique l’artiste à Mouloud Achour dans une émission de Clique délocalisée à Casablanca. Deux heures de programme, plus que certains artistes établis. Un signe supplémentaire qui prouve que dans le rap français comme dans le rock, ce ne sont pas que les chiffres qui comptent, et que des artistes peuvent avoir une plus grosse influence avec des ventes modestes que certaines grosses vedettes.
L'insouciance n'est pas une option
"Ma musique, c’est des instants de vie (…), comme des comptines macabres qui tournent dans ma tête". Et c’est ce qu’on entend dans ce nouvel album, 14 morceaux qui trimballent un arôme nostalgique, qui ne se conforment pas aux codes de la mode rapologique, préférant le boom bap à la house auto-tunée. "La drogue nous a tués comme Whitney Houston" (Génération Avirex), "On passe nos vies à courir sur des épines les pieds nus" (Zone Euro), "L’enfer c’est les nôtres, mais pas les autres" (Memphis), "Le monde en souffrance, dehors y a plus d’ambiance, climat anxiogène, les gens n’en peuvent plus, époque indécente" (Tous les jours dimanche). Quelques morceaux du puzzle Nessbeal, rappeur français qui n’hésite pas à dire ce que d’autres préfèrent cacher : il a dû travailler (comme médiateur et "dans les encombrants"), et ne prétend aucunement défendre un modèle glorifiant le rap comme fin en soi, comme moyen d’exister, de subsister.
Alors ce nouvel album va-t-il mettre Nessbeal sur le devant de la scène ? Peut-être pas. Le public du rap français, majoritairement tourné vers la nouvelle génération, n’est sûrement pas prêt à faire un triomphe à un artiste quarantenaire pour qui l’insouciance n’a jamais été une option.
"L’inconscient qui fait du rap conscient" n’est pas là pour faire danser ou tenter de sortir le tube de l’été, mais préfère rapper la douleur des siens et les cicatrices du quartier. Pourtant, ce retour improbable d’un lyriciste entre dépression et introspection reste un des événements majeurs de ce début d’année.
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Nessbeal Zonard des étoiles (Morning Glory Music/Believe digital) 2022