Coyote Jo Bastard, le monde est à lui
Le jeune, mais prolifique rappeur parisien, Coyote Jo Bastard, a sorti en mai 2022 un quatrième projet en 10 pistes, CNLPG, pour C’est nous les plus gang (son gimmick favori). Car si la qualité est là, Coyote évite de se prendre au sérieux. "Je n’écoute plus de rap, moi, prévenait-il déjà en préambule. Que du Clara Luciani pour mes douces oreilles."
Coyote Jo Bastard est un autre rejeton du Nord parisien, pur produit du cosmopolite XVIIe arrondissement comme Leto et Hayce Lemsi avant lui. Un amour fidèle : le rappeur, signé chez Universal, vit aujourd’hui à 5min de la rue où il a grandi, entre sa mère et ses cousines. "Bien sûr que j’aime le 17, défend-il. En banlieue, t’es coincé, t’as cette barrière invisible du périphérique. Mais le 17, c’est moitié ghetto, moitié chic. Tu peux bouger, tu peux avancer." Lui vient de Porte de Saint-Ouen, la pointe Est du "Triangle d’Or" - pas celui des Champs-Élysées, mais celui des Épinettes, un habitué des faits divers en pleine gentrification. C’est là d’où viennent aussi les membres du XVBarbar, ses premières icônes, pionniers en 2013 de la trap française, importée d’Atlanta.
Le chantre d’un rap international
Pour rendre visite à sa famille outre-Atlantique, Coyote passe adolescent tous ses hivers à New York. "C’était MTV Jams tous les jours, se souvient-il. Tous les clips censurés à Paris, ils ne l’étaient pas ici." Il traîne à l’époque avec l’A$AP Mob, surtout Nast et Bari, qu’il voit moins comme de futurs confrères que des amis, et calque sur eux ses ambitions. "Je voulais que ma vie soit aussi simple que la leur."
Il parle anglais, mais ne rappe qu’en français. "Je ne comprends pas les gens qui font ça. Quand t’es français, utilise le français ! Elle est belle, la langue française. On a eu nos grands auteurs, le Siècle des Lumières. On a cette aura qui fait qu’aujourd’hui, même quand tu dis 'pain au chocolat', c’est stylé."
Cette langue, il la révère, mais la maltraite aussi, la tord à sa guise dans son dernier EP, CNLPG. Ainsi dans Tchagala : « Quand j'compte la kichta [argent], y a pas de "wesh frérot", y a pas de tchagala / Only the gang, only the family, zéro tchagala / Ils ont la boco [la parlotte], font trop les dits-ban [les bandits], sont trop flagada". Le mot "tchagala" même est de son invention, probablement une déformation de l’argotique "tchaga" qui désigne des femmes amatrices de faveurs pécuniaires. "C’est bien beau, le Siècle des Lumières, sourit le rappeur. Mais dans 50 ans, nous aussi on fera partie d’une certaine ère. On aura inventé un argot, des figures de style… Les anciens vont dire qu’on détruit la langue, je préfère voir ça comme une évolution."
Il s’amuse aussi à la frotter à d’autres langues, surtout depuis le carton de sa collaboration franco-italienne avec le Lombard Sfera Ebbasta, Hoodboy, qui a reçu en 2020 un Disque d’or en Italie. CNLPG est un chorus de voix d’ailleurs : chaque titre ou presque a droit à son featuring avec un rappeur étranger.
Trois continents sont représentés : l’Afrique avec la Nigériane Ria Sean et les Marocains Maad et Zamdane, les Amériques avec l’Argentin Bhavi, et bien sûr l’Europe avec un autre rappeur italien, DrefGold. "J’aime assez cette alchimie, le fait d’écrire un morceau dans deux langues très différentes et que le tout finisse par former un ensemble cohérent. On n’a pas besoin de comprendre les paroles, on ressent l’émotion qu’ils veulent transmettre, l’énergie. Quand on a commencé à enregistrer, je leur demandais de me traduire leur partie ensuite et bizarrement, il y avait des choses que j’avais déjà comprises, intuitivement."
Invitation au voyage
Quand on lui demande le message de CNLPG, il rigole. "Pourquoi devrait-il toujours y avoir un message ? Je fais de la musique, je raconte des trucs, je crée un mood. Les gens qui écoutent du rap dans leur voiture ou en boîte de nuit, ils n'ont pas envie de décrypter des messages, ils veulent juste kiffer."
Cet EP, il l’a pensé comme un carnet de voyages "un peu brouillon, griffonné à l’arrache, presque des cartes postales". En laissant la place à l’imprévu, comme pour le featuring avec Maad qui a été improvisé sur le tas. "Quand on a décollé pour le Maroc, on n’avait pas encore le son, raconte Coyote. Alors on a tout fait sur place : on a installé un home studio dans une maison, avec un beau décor piscine-baie vitrée. On a enregistré le son et deux jours après, on a tourné le clip. Tout s’est fait en 48h."
De tous les continents traversés, c’est encore avec l’Afrique que ses connexions sont les plus étroites. Son passé - Coyote est d’origine camerounaise -, mais aussi ses projets d’avenir. Quand il en parle, ses yeux s’enflamment : "Je veux faire un featuring avec un des artistes qu’écoute ma mère en faisant la cuisine, comme Fally Ipupa. Je veux quelque chose d’énorme, qui passera à tous les mariages, à toutes les fêtes en Afrique pour les 30 prochaines années ! Je veux que mes sons fassent danser ma mère, elle qui a perdu le goût de la danse." Il est peut-être là, le sens de sa musique.
Coyote Jo Bastard CNLPG (Butterfly / Island Def Jam) 2022