Aloïse Sauvage, vent de liberté

Aloïse Sauvage, 2022. © Fifou

Après un 1er album stoppé dans son élan par le virus, Aloïse Sauvage propose Sauvage, un disque à l’arôme hip hop, chanté d’une voix parfois auto-tunée mais toujours, osons l’oxymore, d’une puissante fragilité. Bases de circassienne, danseuse de break, elle s’impose avec cette collection de chansons comme une personnalité à l’avant-garde des nouvelles tendances de la pop nationale.

Son récent single Crop Top développait une thématique du consentement parallèle au Balance ton quoi d’Angèle, et son morceau Love, récit d’une rupture, pourrait devenir l’hymne des cœurs brisés avec son refrain célébrant l’amour, même quand il n’est plus. On a retrouvé dans un studio de répétitions parisien, Aloïse Sauvage qui nous a entrouvert la porte de son univers musical.

RFI Musique : Où situez-vous votre musique ?
Aloïse Sauvage : C’est très difficile pour moi de la définir. Ça dépend des morceaux. Au début, je me disais chanteuse parce que je me découvrais, et j’ai l’impression que c’est très difficile de se sentir légitime en tant que rappeuse. C’est un gros débat ! Des gens considèrent que je rappe, d’autres pas du tout. J’ai l’impression que je suis chanteuse parce qu’il y a de la mélodie, mais j’ai un rapport très rap avec ma musique. Tout ça pour dire que j’aimerais que ça ne soit pas pris comme une désinvolture que de dire aux gens de choisir pour moi. La musique que je fais est hybride. Je suis une jeune femme de mon époque et du coup, baignée par énormément d’influences. Je fais de la chanson française type 2022. J’ai l’énergie du rap, la scansion sur certains morceaux, la liberté de ton et de structure. Et c’est la musique que j’écoute tous les jours. Je suis née en 1992, Diam’s, Orelsan, Sinik, Sniper, mes références c’est ça. J’ai déjà entendu "Qui c’est cette petite blanche bobo qui essaie de faire du rap", et j’ai envie de leur dire "En fait frérot, moi j’ai fait du break à l’âge de dix ans". Mais je n’ai pas envie de légitimer mon appartenance à la culture hip hop. Je ne suis pas une puriste, mais je respecte au mieux ce qui s’est fait.

Votre passé de circassienne revient souvent quand on parle de vous…
Je suis moins artiste de cirque maintenant, mais les gens aiment bien me le rappeler par ma pluridisciplinarité, et ça fait partie de moi. Donc, ça me plait de l’expliquer. Ça se voit corporellement, et dans ce que j’aimerais faire figurer dans mes spectacles. Un peu d’aérien, des chorégraphies, cet aspect est indissociable de ma pratique musicale.

Love est un morceau de rupture, comme l’était Toute la vie en 2020…
Love, c’est une situation vécue. Je parle beaucoup d’amour. Là, c’est très précis, c’est une rupture réelle. J’ai eu de la chance, elle est revenue après.
Oui, beaucoup de ruptures, beaucoup de séduction dans mes textes. Mais ça n’était pas la même rupture ! Celle de Toute la vie était très vénère. C’était ma première histoire d’amour. Love, j’aurais aimé le partager en feat. avec une artiste queer. J’aurais aimé Lala &ce, Meryl ou Chris. J’aurais trouvé ça cool mais bref, je l’ai fait toute seule. J’ai pris du recul.

Dans Montagnes russes, vous évoquez "L’Auto-tune pour soulager la voix"…
On nous pose beaucoup de questions sur l’Auto-tune. Ce titre-là, je le voyais avec de l’Auto-tune très marqué. Ça apporte quelque chose dans la recherche mélodique, je ne suis pas la seule à le dire. Le truc robotique, c’est une armure. Du coup, tu peux être plus vulnérable. Je comprends la critique. Mais quand c’est bien employé, comme sur l’album de Kanye West 808 & Heartbreak, quand c’est musical et que ça apporte quelque chose, c’est merveilleux. Je vois ça comme un instrument. Certains rappeurs en abusent un peu.

Êtes-vous parfois étonnée de voir comment les auditeurs comprennent vos morceaux ?
Le plus amusant, c’est quand les gens trouvent du sens ou des références que tu n’avais pas amenées. J’adore. Peut-être qu’il y a eu un truc inconscient dans l’écriture. J’ai hâte de le vivre avec cet album. Que les chansons puissent, comme moi je l’ai vécu avec des morceaux, appartenir à des moments de vie importants pour les gens. Je trouve ça beau, ça rappelle comment la musique fait partie de nos vies et relie les gens. Je raconte ma vie, je suis une jeune femme lesbienne. Donc je raconte aussi des histoires d’amour différentes et ça fait du bien, ça amène d’autres représentations. Bien sûr, il y en a de plus en plus, mais pas encore assez. Et j’ai reçu beaucoup d’amour de gens à qui ça faisait du bien de se sentir décrits.

Vos paroles sont travaillées, avec un vocabulaire souvent soutenu…
J’ai clairement un côté intellectuel, très Télérama ! Je ne mens à personne, je ne me fais pas passer pour ce que je ne suis pas. Mes deux parents sont profs. Je n’ai pas vendu du shit en bas du bloc. Je viens de banlieue donc j’ai baigné là-dedans. Après j’ai eu mon éducation, vu plein de spectacles. J'ai été confrontée à une culture plus intellectuelle. Ce que je suis, c’est ça. J’ai envie de dire des choses belles, aussi. C’est cool d’élever le vocabulaire, et ça ne m’empêche pas d’avoir des refrains simples, de ne pas me compromettre dans mon écriture parfois ampoulée, parfois directe. C’est mon style. J’ai parfois une écriture très logorrhée verbale avec plein d’images. Maintenant, j’essaie d’être plus frontale. Je me suis sentie plus libre sur cet album-là, en colère à des endroits. Extrême dans les émotions. Quand j’ai commencé à écrire, je n’écrivais que sur mes tristesses. C’était un moyen d’extérioriser ma mélancolie, c’était plus simple. Je parlais de sujets tristes sur des rythmiques joyeuses. Maintenant, j’arrive à aborder quelques thèmes plus lumineux. C’est beau la tristesse, mais j’aimerais ne pas avoir à nourrir ma tristesse dans ma vie personnelle pour en faire des chansons. Ne pas croire que je dois être une artiste maudite et en dépression constante pour faire des belles compositions. J’ai touché quelques bas-fonds et j’ai retrouvé la lumière. Ma "dark side" m’a emmenée parfois dans des réflexions apocalyptiques mais ça va, j’ai envie de vivre.

Aloïse Sauvage Sauvage (Capitol) 2022

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