SDM, la puissance et le sang

SDM, 2022. © Frederic De Pontcharra

Le jeune rappeur français d'origine congolaise SDM sortait récemment un second album intitulé Liens du 100. L'occasion pour nous de faire le point sur la carrière de celui qui a signé sur 92i, le label de Booba.

Le rap français a muté depuis ses débuts, voilà plus de trente ans. Une nouvelle génération s’est imposée, avec d’autres préoccupations liées à leur époque : là où les pionniers prêchaient (souvent dans le désert médiatique) un gospel antifa, humaniste et révolté, les rappeurs des années 20 abordent leur art différemment, avec des textes plus ouverts aux préoccupations financières et des musiques qui ne craignent pas de viser le grand public.

Mais la plus grosse différence entre les défricheurs du genre et leurs descendants, c’est que la lutte entamée par NTM, Ministère Ämer, IAM ou MC Solaar a été gagnée. Le rap français EST devenu la musique la plus populaire en termes de streams et de fréquentation des concerts. "Bien sûr que c’est une compétition !", admet sans langue de bois SDM au micro de l’émission de Mehdi Maizi Le Code. "C’est pas juste : 'On est là, on est tous potos'. Moi, j’ai capté que dans les discussions en off, ça parle, 'Lui il a tué lui' Donc je suis en mode 'Qui veut être le roi ?'"

SDM, c’est l’archétype de cette nouvelle ère, un jeune artiste de 27 ans originaire de Clamart en banlieue parisienne qui n’a pas l’intention de s’excuser d’être là. Après des débuts en indé sous le pseudo Sadam (vite abrégé en SDM), il a connu une ascension fulgurante depuis sa signature début 2020 sur le label de Booba, 92i.

Un an plus tard, Ocho, son premier album, pose le décor : rimes brutales "Calibré on va chez eux, maintenant chez eux c’est chez nous" (dans le titre Rihanna), featurings de poids (Booba sur Daddy et La Zone, Fally Ipupa sur Droit de veto), violence verbale (À l’affut) mais aussi autocritique ("J’ai fait le con, j’ai quitté tôt l’école" dans Cello) et émotion brute ("Maman rassure-toi, personne nous mettra à la porte" dans Compte sur moi).

Un single d’or (Jack Fuego feat PLK, qui déclencha la signature chez 92i), un featuring sur Bonne journée (titre fort du dixième et dernier album de Booba Ultra) et une apparition sur la scène du Stade de France avec B2O et voilà qu’arrive déjà le toujours difficile deuxième album, Liens du 100, un an après les dix inédits de la réédition du premier album. 100 – 8 ("Ocho" en espagnol, son gimmick favori), soit 92, une histoire de chiffres autant que de lettres.

L’album s’ouvre avec un clin d’œil à Aznavour avec Hier encore* : "Hier encore j’avais 20 ans, je jouais de la vie comme on joue de l’amour/ Brolique chargé dans les mains, j’allais danser avec l’ange de la mort". Comme souvent sur les albums de rap hardcore, la séquence émotion est reléguée en fin de tracklisting, mais elle n’en est pas moins réelle et puissante. Sur Nous deux, 17e et dernier titre de l’album, SDM évoque l’absence du père (décédé prématurément), s’adressant à une locutrice non nommée (sa mère, devine-t-on) et dévoilant une sensibilité que la crudité de son langage contribue parfois à masquer.

Maintenant que sa cote est en hausse, s’ouvrent les portes des feats de prestige : on entendra SDM sur un morceau du nouvel album d’Aya Nakamura, DNK. Le titre du duo ? Daddy, à ne pas confondre avec le Daddy en feat avec Booba. "J’aime trop ce qu’elle fait, c’est la boss, comment tu vas lui dire non ?" a commenté SDM sur Diigymediatv. "Il est fort en rap, il chante… J’aime trop quand il fait des mélos ! C’est un Congolais, les Congolais, c’est des chanteurs" a rajouté Aya, invitée sur le même plateau.

SDM fait clairement partie des rappeurs d’aujourd’hui qui pourraient bien connaitre une carrière longue et riche, une gageure dans un monde où le public jette trop souvent les artistes comme des Kleenex après les avoir brièvement adulés. L’avenir le dira, mais en attendant, Liens du 100 est la preuve que le rap français peut être puissant et même émouvant sans avoir à recycler un tube rance des eighties et sans faire du pied à la variété. "Surveillez plus le ciel, ça vient d’en bas" !

*Le titre a depuis été retiré des plateformes de streaming à la demande de la famille de Charles Aznavour

SDM Liens du 100 (92i/Capitol Music) 2022
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