Benjamin Epps est-il bien le meilleur rappeur de France ?

Le rappeur gabonais Benjamin Epps. © Rémy Bourdeau - Futurxnoir

Il revendique ce titre, et le confirme par un prix international du "meilleur flow" et un album mitraillette taillé au cordeau, intitulé La Grande Désillusion… Mais qui est, finalement, Benjamin Epps, ce rappeur d’origine gabonaise ?

Par provocation malicieuse, et aussi pour nourrir l’ego trip nécessaire à tout artiste hip hop qui se respecte, Benjamin Epps s’est autoproclamé "meilleur rappeur de France". Et force est de constater que, depuis deux ans, son actu semble lui donner raison.

Remarqué pour ses trois EPs plébiscités par le public et la critique, salués pour ses featurings avec Youssoupha, Lino ou Dinos, ses collaborations avec Lous & The Yakuza, Yaron Herman ou Selah Sue, ses concerts à guichets fermés, il s’est vu décerner, en octobre à Atlanta (États-Unis), le prix du Best International Flow, par les prestigieux BET Hip Hop Awards. Et assurément, le MC virtuose éblouit par son flow qui claque, la dextérité de son rap de dentelle et de violence, de maîtrise et de rupture, porté par sa voix d’une clarté implacable.

Lui-même, d’ailleurs, se compare volontiers au héros de son enfance : Capitaine Flam. "Quand je rappe, je crache du feu, avec un flow bien aiguisé, des rimes tranchantes. Voici pour l’analogie", éclaire-t-il.

Mais, en ce jour précis de son 27e anniversaire, ce "Capitaine Flam du rap" suit une mission de la plus haute importance : partir chercher son fils de deux ans chez sa grand-mère maternelle, pour l’emmener débusquer les œufs de Pâques. C’est donc au volant de sa voiture, sur les routes de la Meuse, où il réside, qu’il répond à nos questions.

Son premier disque, La Grande désillusion, vient de paraître il y a quelques jours et déjà, les éloges pleuvent. Pour autant, il garde la tête froide : "Je suis heureux, mais je ne veux pas me laisser dépasser par le succès qui, somme toute, reste relatif. Il y a toujours d’autres sommets à atteindre, des gens plus célèbres que toi… Moi, je me sens bien à l’endroit où je me trouve. Et quand je quitte Paris, pour me diriger vers Bar-le-Duc, où j’habite avec ma famille, je troque mon costume de rappeur contre celui de papa." La voiture vient justement de se garer et de petits babillements extatiques accueillent le rappeur, qui nous met sur pause, le temps d’embrasser son fils. 

Biberonné au hip hop

Son enfance à lui se déroule à Bellevue, quartier de Libreville, "district assez pauvre, classique des grandes capitales d’Afrique équatoriale, avec des bidonvilles et un grand marché… Rien de notoire." Benjamin d’une fratrie de six frères et sœurs (d’où son pseudo), né en 1996, "tout petit dernier" choyé par ses aînés, Kesstate Epembia, de son nom civil, grandit élevé par sa mère infirmière qui tient le foyer, et en partie par son père "un polygame, qui fait des aller-retour". Autre figure tutélaire ? Sa grand-mère, guérisseuse, qui lui prodigue sa force spirituelle.

Pour accompagner ses premiers pas : de la rumba congolaise, du ndombolo, du jazz, adoré par son paternel et de la chanson française qui ravit le cœur de sa mère… Et puis, il y a le rap et ses balbutiements qui débarquent au Gabon comme une déflagration. Ses trois frères, pionniers du style à Libreville, organisent battles, open-mic, freestyles, opèrent des razzias chez le meilleur disquaire de la ville… Et voici le jeune Kesstate biberonné à NTM, IAM, La Cliqua, Ärsenik, Wu Tang, Jay-Z, Dr Dre, Nas, Method Man, et Notorious B.I.G., assassiné à 25 ans, son idole...

 

À neuf ans, le garçon commence à rapper : en plein apprentissage, il reprend des titres de ses mentors… De quoi muscler son flow. Au collège, il se met à écrire "au sens propre", à suer sur sa feuille, à forger sa plume… "Je racontais que j’étais le plus fort, que j’aurais la plus grosse voiture et la plus jolie copine, rigole-t-il. Un gosse de 11-12 ans ne philosophe pas, surtout lorsque, comme moi, il n’a pas grandi avec un fort capital culturel. Mais je jouais déjà avec les mots, et ça a débloqué, en moi, cet exercice d’écriture, que j’aborde aujourd’hui avec sérénité."

Master de sociologie

18 ans, bac en poche, cap sur Johannesburg, où réside l’un de ses frères, le temps de maîtriser l’anglais, lui qui rêve si fort d’Amérique. Finalement, il posera ses valises à Montpellier, non loin de chez sa sœur installée à Carcassonne, pour entamer un master de sociologie, qui nourrira son regard affûté sur le monde.

En parallèle, il achète ordinateur, synthés, micros et logiciels, grâce aux salaires amassés au fil d’emplois saisonniers. Il faudra pourtant attendre le confinement de 2020 pour que Benjamin, réfugié par amour en Lorraine, commence à bosser son rap sérieusement, et diffuse quelques titres sur le net. Le premier, Kennedy en 2005, reçoit un florilège d’encouragements. De quoi créer la communauté de ses "pips", ses "peoples", ses fans.

Et le voici avec son premier disque, La grande désillusion, en forme de confidences, qui oscillent entre l’amertume et l’espoir. "En réalisant ce disque, j’étais un peu désabusé, frustré, tant au niveau intime que sociétal, décrit-il. Désenchanté par le décès de certains de mes proches, déçu de ne pas pouvoir concilier, comme je le souhaite, ma carrière de rappeur et mon statut de père… Et énervé par les polémiques sur les réseaux sociaux. Au niveau global, je déplore cette situation en train de nous échapper, socialement, économiquement, écologiquement…J’essaie pourtant de rester positif, de remettre l’humain au cœur de mon monde".

Sur ce disque mitraillette et mature, il dénonce aussi l’institution policière, sans haine ni agressivité, pour une mise au point salutaire. Et s’attaque au racisme latent. "J’suis pas ton noir de service, j’suis pas ta diversité, bitch, j’suis pas ta caution morale, pas ton mec de cité, bitch… ", rappe-t-il dans Police à ma porte.

"Je ne suis pas hyper fan de ce terme de ‘diversité’ qui, au final, finit toujours par ‘ostraciser’ ceux qu’il veut ‘sauver’. Pourquoi ne pas vivre ensemble, avec les mêmes droits, sans mettre des mots sur le concept ?" s’insurge-t-il. 

Toutes ses impressions, ses sentiments, ses ego-trips, Benjamin les déroule sur un son ultra-travaillé, aux accents old school : du boom bap pur jus, façon nineties doté d’une production ultra-moderne.

Pour son premier disque, ce fan de littérature, d’écrivains gabonais comme Hubert Freddy Ndong Mbeng, s’est offert des feats au sommet : Josman, Styles P., et son illustre aîné, premier rappeur hexagonal qui "met tout le monde d’accord", MC Solaar.

Sur son dernier titre, Dans nos murs, où il raconte sa famille, il a contacté la diva Angélique Kidjo. Comme en témoigne son titre Bienvenue à b’hell vue, il s’inquiète pour le Gabon où, selon lui, "la vie politique ne se déroule pas sans heurts". "Je garde un œil sur le territoire qui m’a vu grandir, sur les gens que j’aime", dit-il. D’ailleurs, sa tournée, qui se ponctuera par un Olympia le 30 novembre prochain, a commencé le 25 mars, là où tout a pris forme : à Libreville. Comme un juste retour de la coupe à la maison. 

Benjamin Epps La Grande Désillusion (Mocabe Nation) 2023 

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