Danakil, l’ADN du reggae
Pour Bob Marley, le reggae était une musique rebelle. Message reçu et perpétué avec une motivation sans faille, tant sur le plan de la réflexion sociétale que de la démarche artistique, par le groupe français Danakil sur son 5ème album intitulé La Rue raisonne. Entretien avec Balik, chanteur et porte-parole de cette formation devenue un des principaux acteurs de la scène française du reggae.
RFI Musique : Ce nouvel album s’est nourri des débats qui ont récemment traversé la société française. Vous avez d’ailleurs apporté votre soutien au mouvement Nuit debout en donnant un concert au printemps sur la place de la République à Paris. Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous impliquer?
Balik : Ce qui se revendique, ce qui est dit dans ces mouvements, j’ai un peu l’impression que c’est ce qu’on chante depuis le début, depuis qu’on a 18 ans. Ce courant qu’on essaie de représenter. Donc si on n’est pas là au moment où ça se fait publiquement et massivement, ça veut dire qu’on abandonne. Il y a eu un vrai mouvement d’unité avec Nuit debout : au même moment et au même endroit, un grand nombre de personnes se sont réunies autour de mêmes questions. C’est hyper difficile dans le contexte où on évolue aujourd’hui, où la sphère médiatique est contrôlée par la sphère politique, où on essaie d’empêcher ces mouvements-là qui font peur. Car il n’y a que ça qui peut faire vaciller l’ordre des choses. Donc avec Nuit debout, on est à notre place, et c’est dans l’ADN du reggae, du hip hop, de ces musiques de rue de servir de contrepouvoir.
Avoir une vision complotiste, n’est-ce pas verser dans une forme de démagogie que sous-tend aussi un titre tel que celui de votre album, La Rue raisonne ?
Qui parle de complot ? Moi je parle de la réalité : qui vit bien, qui vit mal ? Quel est le nombre de pauvres, de gens qui souffrent ? Que sont les liens entre la politique et les sphères d’influence ? Quel est le rapport à la solidarité ? Pourquoi on pleure les morts pour un attentat en France et on montre du doigt ceux qui fuient les mêmes attentats dans leurs pays en leur disant qu’on n’en a rien à faire, que ce sont des musulmans. Ce n’est pas un complot, ça, c’est la réalité. Il faut voir la campagne de sensibilisation de l’ONG Save the Children qui montre en deux minutes une petite Anglaise dont le quotidien change tout à coup, comme si elle était syrienne. Il y a un manque d’humanisme dans la façon de traiter cette question. Chacun défend son bout de jardin, et la classe politique met de l’huile sur le feu pour des raisons électoralistes, alors qu’elle devrait dissiper cette idée reçue que les migrants sont des terroristes potentiels. Le jour où on arrivera à se mettre un peu les uns à la place des autres, alors on pourra voir évoluer les choses.
Un des titres phares de votre répertoire, que votre public a pris l’habitude de chanter du début à la fin, s’intitule tout simplement Marley et raconte à la première personne l’histoire de la star du reggae. Vous souvenez-vous de sa genèse ?
Sans cette chanson, on ne serait pas allé aussi loin dans notre développement. J’ai vu des gens venir au concert de Danakil, plus âgés que la moyenne, et attendre au fond de la salle, ne pas s’impliquer, et se rapprocher seulement à la fin du concert quand on faisait ce morceau-là ! Je l’ai écrit à une époque où Danakil était loin d’être professionnalisé, deux ou trois ans avant qu’elle sorte sur l’album Dialogue de sourds, en 2008. Je l’ai enregistré un soir sur un instru de hip hop français des Psy4 de la Rime. J’avais 22 ou 23 ans et j’avalais du Marley à toutes les sauces, je guettais tous les reportages sur lui, j’étais fasciné par son parcours, son histoire, je venais de finir la biographie que lui a consacrée de Stephen Davis et qui replace tous les albums et les chansons dans leur contexte chronologique. La chanson est restée dans les cartons pendant trois ou quatre ans et quand on s’est penché sur le deuxième album, on l’a reprise à zéro pour en faire un reggae.
Parmi les artistes et groupes de reggae français qui vous ont précédé, ceux qui ont très bien fonctionné commercialement ont eu du mal à s’en remettre artistiquement. Est-ce que le succès auprès du grand public vous fait peur a priori ?
Je n’aimerais pas être en haut de l’affiche. Je n’ai pas envie d’être trop visible. J’aime bien le niveau où on en est. Je trouve ça super. On ne voudrait pas être placardé partout, ça ne nous plairait pas.
Danakil s’est forgé une réputation sans appui médiatique, mais en sillonnant la France pour se produire sur scène. À quoi ressemblait le tout premier concert ?
C’était en mars 2001 pour une soirée des Restos du cœur, dans une salle qui s’appelle les Arches de Louveciennes, à côté de notre petit bled de Marly-le-Roi. On répétait depuis sept ou huit mois seulement et c’est pour ce concert-là qu’il a fallu trouver le nom d’un groupe. On a commencé par regarder dans l’encyclopédie, sur la carte de la Jamaïque, et comme on n’a rien trouvé qui sonnait bien, on est allé sur la page de l’Éthiopie ensuite, et c’est la qu’on a vu le nom Danakil (désert du nord-est du pays, NDR). Le concert a duré une petite heure. On a joué pas mal de reprises : War de Bob Marley, Jericho d’Israel Vibration. Et aussi nos premières compos. À la fin, on s’est tapés dans les mains en se disant que ça ne pouvait pas mieux se passer !
Danakil La Rue raisonne (Baco records) 2016
Site officiel de Danakil
Page Facebook de Danakil
En concert le 9 et 10 au Trianon à Paris
Le concert est retransmis en direct live & en intégralité, sur Youtube et Facebook