Le jazz de Joe : Kubix

Le guitariste français Kubix publie l'album "Guitar Chant". © Franck Blanquin

Il lui aura fallu 40 ans pour franchir le pas et s’exposer à la lumière des projecteurs. Certes, le guitariste français Kubix a déjà éprouvé maintes fois la ferveur de la scène en servant les répertoires d’illustres partenaires mais réaliser un album personnel est un défi qui demande un investissement créatif certain et une dose de témérité que seule l’expérience autorise. Guitar Chant est le fruit de ce cheminement artistique constant et sincère.

Que sait-on au juste de Kubix ? Outre de nombreuses prestations aux côtés de véritables légendes de la culture reggae, Lee Scratch Perry, Horace Andy ou Ken Boothe, entre autres, sa destinée reste aussi discrète que prestigieuse. Ses deux Grammy Awards nous indiquent qu’il faut aller chercher plus loin les talents du virtuose, peut-être dans l’éclectisme de sa musicalité. Lorsque l’on écoute attentivement la texture sonore de ses ornementations guitaristiques, il n’y a pas que les effluves jamaïcaines qui apprivoisent nos oreilles.

Le jeu délicat de Kubix fait incontestablement appel à un savoir et une écoute assidus des grands noms du jazz. L’écho des Wes Montgomery, George Benson et peut-être Kenny Burrell résonne dans cet univers singulier qui joue avec les contrastes des rythmes et des harmonies. Oui, la tension rythmique est indéniablement reggae mais le chant de cette guitare audacieusement appliquée swingue joyeusement et nous convie à porter notre attention sur toutes ces petites notes cristallines finement ciselées. 

Maîtriser ainsi l’art de l’interprétation ne s’improvise pas. Cela suppose des années de pratique intensive. Trouver l’inspiration est souvent la récompense d’une vie entière dévolue à la musique. C’est le miracle de gestes répétés à l’infini, d’accords joués mille fois, d’ajustements scabreux et, finalement, réjouissants. Le jeu de Kubix pourrait aisément se suffire à lui-même. S’il s’enrichit d’arrangements sûrement pertinents, sa limpidité ne nécessite pas d’artifices.

 

Lors de la parution d’un premier album, le risque est de vouloir tout donner, quitte à produire un disque trop touffu et roboratif. Kubix a su éviter cet écueil en se reposant sur un savoir-faire, largement acquis depuis des décennies, et la camaraderie de quelques fins accompagnateurs dont les compétences ne sont plus à prouver. Ces musiciens aguerris s’appellent Marcus Urani (pianiste du groupe californien Groundation), Clinton Fearon (bassiste des légendaires Gladiators), Vin Gordon (tromboniste de Bob Marley, pilier de Burning Spear et des Skatalites), pour ne citer qu’eux…

Ce sont vingt-et-un musiciens qui soutiennent chaleureusement les premières propositions musicales de Kubix. Les a-t-il réunis pour se donner du baume au cœur ? Pour retrouver la frénésie familiale des concerts d’antan ? Ou tout simplement pour s’assurer le confort d’un orchestre protéiforme efficace ? Sans doute, tout cela à la fois ! 

Au-delà du reggae

Si Ernest Ranglin a déjà montré l’exemple, Kubix l’honore à sa façon en inventant la lecture jazz caribéenne de son temps. Au hasard des onze compositions qui scintillent sur Guitar Chant, les allusions aux héros d’autrefois ne manquent pas. Ici Monty Alexander ou King Tubby, là Jimi Hendrix ou les Beatles. Tout devient possible quand la dextérité permet de périlleux clins d’œil.

Imperceptiblement, les mille et unes influences de Kubix irriguent ses trouvailles stylistiques. Écoutez attentivement Paris/New York, n’entendez-vous pas au final les circonvolutions psychédéliques des années hippies ? David Gilmour, le guitariste de Pink Floyd, serait-il l’un des chaperons non avoués de notre brillant Kubix ?

Il est évidemment toujours possible de supputer et d’imaginer des références plus ou moins flagrantes dans les œuvres de tout instrumentiste mais acceptons ce postulat et considérons que Guitar Chant n’est pas qu’un album de reggae. Les accents cubains de Sad & Salt, mis en relief par les envolées de la pianiste japonaise Aya Kato, démontrent l’universalité de ce projet discographique initié par un chef d’orchestre et producteur autodidacte qui se révèle enfin aujourd’hui au grand jour. 

Le petit Xavier Bègue, apprenti guitariste à 14 ans en région parisienne, a grandi, mûri, affiné les notes de sa guitare, les nuances subtiles de son arc-en-ciel, et peut maintenant tenter l’aventure d’une carrière solo qu’il ne mènera pourtant pas seul. Ses amitiés et rencontres musicales ont nourri son altruisme authentique et son désir de partager des moments de convivialité artistique avec ses homologues et contemporains. Kubix est donc né à 40 ans et devrait continuer à nous épater encore longtemps !

Kubix Guitar Chant (Attik Productions) 2020

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