Biga* Ranx, reggae nuageux et ciel bleu

Album "Eh Yo!" de Biga Ranx. © DR

Du micro au pinceau, se dégage une forme de continuité dans ce qu’exprime Biga* Ranx, auteur d’un sixième album intitulé Eh Yo ! dont le côté décontracté masque le niveau d’exigence de son auteur. En une décennie, le Tourangeau de 34 ans est devenu un des repères de la riche scène reggae francophone avec son style aux sonorités électro et sa culture urbaine. Il se produit au SunSka festival le 7 août prochain.

L’effet de contraste est des plus réussis. Derrière un titre d’album en forme de double interjection, à la coolitude revendiquée, une première phrase ingénieusement mise en relief par le léger blanc musical qui la précède plante un décor que l’on n’avait pas vu arriver : "Encore un avion dans le ciel qui se prend pour une étoile, qui aimerait voler toute la Cassiopée", lâche d’emblée Biga* Ranx avec son phrasé à travers lequel apparaît la diversité de ses influences urbaines.

Quelque chose a changé au fil du temps, en particulier ces dernières années chez le Français trentenaire, et à ce titre sa chanson Montagne en fait prendre conscience dès le début de Eh Yo !. Une écriture personnelle s’est affirmée, déjà présente sur Sunset Cassette, le précédent disque officiel en 2018 – entre-temps, notre homme s’est autorisé trois mixtapes sous son nom et sous le pseudo de Telly pour assouvir sa soif de créations.

"J’aime beaucoup prendre un recueil de poésie, et chanter ou rapper les textes. Sans les connaître. C’est un super bon exercice, ultra-plaisant", explique-t-il. Après les œuvres de Paul Valery ou Jacques Prévert, on l’a même entendu récemment au micro d’une radio parisienne s’emparer d’une recette tirée du livre Je sais cuisiner de Ginette Mathiot en guise d’introduction à son morceau Tarte Tatin !

S’il convient que chanter en anglais, comme il l’a beaucoup fait par le passé, a un "côté manteau" dans lequel on peut se cacher, mais aussi "plus axé sur la vibe", Gabriel (Biga en verlan) reconnaît aussi qu’il y a une dimension "plus intime" à s’exprimer dans sa langue natale. "C’est beau, le français", insiste l’artiste qui a envie de "mettre en avant le bagage littéraire que l’on peut avoir dans notre culture, s’en inspirer et l’associer à cette espèce de reggae contemporain".

Reggae nuageux

Adepte d’un reggae lo-fi ou "cloud reggae" qu’il traduit en "reggae nuageux avec des effets ralentis" et dont il est devenu sans conteste la référence, le Tourangeau faussement désinvolte aime pourtant les ciels bleus : "Le soleil, c’est ce qui teinte ma musique", indique-t-il, admettant volontiers le "paradoxe" quand on lui fait remarquer que son troisième album s’intitulait Nightbird (oiseau de nuit) et le précédent Good Morning Midnight (Bonjour minuit).

"Je reste dans ma ville avec ma vie nocturne, et je chante les palmiers", sourit-il. Comme celui qu’il a dessiné sur la pochette de l’album (un autre talent, cultivé et hérité, qui a déjà conduit cet adepte de l’art brut à exposer en 2020), ceux qu’il envoie par SMS (Emoji), ou encore ceux de Montpellier, cette ville à laquelle il rend hommage, en collaboration avec son compatriote et complice de longue date Blundetto.

Là-bas, au bord de la Méditerranée, il se sent bien et cela s’entend : "Pour tous les kids de la DDASS, leur monde est ti-peu (petit, NDR) mais le nôtre est gigantesque", veut croire le chanteur passé par les services de l’aide sociale à enfance. Dans ses intonations, son flow presque nonchalant, impossible de ne pas penser sur ce morceau précis à Tonton David, considéré comme le papa du reggae français et décédé en 2021.

"Nous, les enfants d’Internet, on mélange un reggae qui vient d’une époque antérieure avec ce dont s’est nourrie notre génération coincée entre passé, futur et présent", décrit Biga* Ranx. Autant d’éléments qu’il sait agencer les uns avec les autres pour obtenir in fine une musique aussi inventive qu’identifiable.

Biga* Ranx Eh Yo ! (Wlab/Wagram) 2022
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