Dub Inc partage son capital reggae

Dub Inc, 2022. © Carlos Gerardo García

Tels des lions en cage, les membres du groupe reggae français Dub Inc ont rongé leur frein durant 27 mois, privés de scène en raison de la pandémie de Covid-19. Durant cette période singulière, ils ont préparé et enregistré leur nouvel album Futur, animés par l’envie de regarder plus loin à l’horizon. Entretien avec Aurélien "Komlan" Zohou, l’un des deux chanteurs de la formation stéphanoise.

RFI Musique : Pensez-vous que votre nouvel album porte les traces de l’époque si particulière pendant laquelle il a été conçu, en particulier les confinements, même s’il ne l’évoque pas directement ?
Komlan
 : C’est la première fois qu’on a dû puiser toute notre inspiration dans notre quotidien. Ce disque a été enregistré en vase clos, à cause des conditions que nous a imposées le Covid, mais on l’a commencé en se disant qu’on n’allait pas parler de cette crise, parce qu’elle va être derrière nous et que l’album va vivre plus longtemps qu’elle. On voulait s’en extraire, mais quand j’écoute ce disque, j’entends le Covid dans chacune des chansons ! Le contexte que tu vis influence ton écriture, il l’oriente. En relisant tous nos textes à la suite, on s’est rendu compte que les mots "temps", "enfant", "passé" étaient énormément présents sur l’album. C’est pour synthétiser qu’on l’a appelé Futur.

En quoi Futur diffère-t-il des précédents ?
C’est notre album le plus introspectif. Personnel. On avait l’habitude d’aborder les questions d’une manière générale, de parler de l’homme dans son ensemble, la société, l’humanité… Mais j’ai l’impression que cet album parle beaucoup plus de nous, de notre regard. On l’avait déjà fait sur Millions, quand tu écoutes un morceau comme A tort ou à raison, où il est question du décès de nos papas, avec Hakim (l’autre chanteur du groupe, NDR).

Dans la chanson Diamant, on vous entend dire : "Africa, j’ai souvent peur de ton regard sur moi et du reflet que ce miroir renvoie." Qu’entendez-vous par là ?
Comme beaucoup d’enfants d’immigrés, d’enfants nés en France avec des parents nés au pays, le rapport n’est pas si simple avec l’Afrique, avec nos origines. Avec le Bénin, pour moi. On est témoins de l’image idyllique, du retour aux sources qu’on a souvent évoqué dans nos textes. On connaît assez peu nos familles africaines, même si je suis allé quelques fois là-bas. Il y a un éloignement, des jalousies... Je parle de l’Afrique avec beaucoup d’amour, mais j’ai aussi des craintes. C’est un sujet peu abordé par les artistes, mais je crois que beaucoup le connaissent, surtout quand tu as du succès, que tes racines africaines te regardent aussi en tant que tel et attendent un retour dessus. C’est compliqué.

Vous avez de nombreux invités issus du monde du reggae sur ce nouvel album, comme les Français Taïro, et Balik, l’un des chanteurs de Danakil. Pouvez-vous nous présenter les trois autres ?
Pour Sadek, ça faisait longtemps que Hakim voulait faire un texte sur le hirak et les marches silencieuses en Algérie. Il avait repéré cet artiste qui y avait participé et s’intéressait à la musique qu’il faisait avec son groupe Democratoz – aujourd’hui il vit en Allemagne.
Ensuite, on avait envie d’avoir une voix jamaïcaine, ce qu’on n’avait pas fait depuis 2010. Kumar est l’ancien chanteur de Raging Fayah, une voix très roots et très douce qu’on adore chez Dub Inc. En plus, il y avait un goût d’inachevé parce qu’on avait fait un featuring avec Raging Fayah avant leur séparation et il ne sortira donc jamais.
Enfin, Alborosie représente quelque chose de fort dans le reggae actuel : musicalement, vocalement, mais aussi du fait qu’il soit italien. On sait que le reggae new roots n’est plus en Jamaïque, mais lui le prouve complètement. C’est le seul qu’on a fait à distance ; les autres sont venus en studio, ont passé deux jours avec nous, car on considère que c’est important que les artistes voient comment on fonctionne, qu’ils viennent à Saint-Étienne, qu’on les emmène au resto…

Sur le documentaire en ligne Jamais seul qui vous est consacré, on vous voit remonter sur scène en Colombie en 2022 et le public reprendre vos paroles. Comment les connaissent-ils ?
On avait déjà fait ce festival il y a trois ans, et il y a eu une diffusion de notre musique en Colombie, depuis notre passage au festival Rock Al Parque (en 2012, NDR) devant 60 000 personnes, mais aussi en Amérique du Sud, grâce à notre featuring avec les Mexicains du groupe Panteón Rococó. Ils font un genre de ska rock très typique de ce qui existe là-bas, très festif, et ils nous ont invités sur leur album Infiernos. Ils nous ont appelés un an après pour faire leur première partie à l’Arena de Mexico, deux soirs de suite. On n’avait pas réalisé ce qu’ils représentaient là-bas !

Y a-t-il toujours un parfum d’aventure, lorsque vous jouez à l’étranger ?
Oui, toujours. Bien sûr, maintenant on est plus rompu à l’exercice, mais il y a toujours de l’inattendu. Même si on est allés dans certains pays plusieurs fois, on est toujours étonnés de l'accueil. On prend toujours autant de plaisir à retrouver ce qu’on a pu trouver les premières fois. Un exemple : le Portugal est un des premiers pays étrangers où on est allés, et on a dû y jouer au total entre 12 et 15 fois, donc on a développé des relations là-bas, des habitudes. On a des endroits où on aime retourner. Même si c’est moins l’aventure, ça ne perd pas de sa valeur. Dans notre nouveau clip, pour Tour du monde, tu nous vois arriver aux États-Unis. C’est un rêve de gosse d’aller sur la côte Ouest faire une tournée, dans des salles de San Francisco, San Diego… Tu ne pourras pas l’enlever, ça restera toujours stimulant.

Cette dimension-là est-elle essentielle à l’équilibre du groupe ?
La découverte de jouer à l’étranger a relancé d’une certaine manière la vie du groupe. Ça nourrit notre inspiration. Si tu prends l’exemple de nos pochettes, elles viennent toutes de nos voyages. Pour l’album Millions, c’est parce qu’on a beaucoup joué en Afrique dans la tournée qui précédait : le Burkina, l’Afrique du Sud, le Rwanda et le Congo où on a été dans un endroit dangereux, le sud du lac Kivu. On y a vécu quelque chose de très fort et on y a rencontré l’artiste qui a dessiné le gorille que l’on a pris ensuite pour la pochette. Pour So What, il y a clairement une référence à nos voyages en Inde lors de la tournée qu’on y avait effectuée. Pour Paradise, le bateau en illustration est l’œuvre d’un artiste africain. Et la dernière, celle de Futur, rappelle l’art zapatiste mexicain, très coloré, que l’on a découvert lors de nos dates là-bas. Ça montre à quel point ces voyages nous influencent et nous inspirent.

Dun Inc Futur (Diversité) 2022 
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