L’Odyssée selon Fedayi Pacha

Le globe-dubber Fedayi Pacha revient avec l'album "O D C". © Adrien Rebillard

Combattant du dub en France depuis un peu moins de deux décennies, le Stéphanois Fedayi Pacha revient après six ans de silence ponctués de quelques remixes. O D C (lire Odissey à l’anglaise), son tout nouvel album, conforte la démarche de ce globe-dubber inspiré.

Fedayi Pacha (Denis à la ville) connaît la musique par tous les bouts. Avant de se réaliser dans le dub, ce musicien fut, au siècle dernier, un des acteurs de la scène punk stéphanoise.

"J’ai joué dans plusieurs groupes et ai organisé aussi, de nombreux concerts, tous styles confondus" se souvient-il évoquant le Do It Yourself propre à cette scène qui lui donne aujourd’hui encore l’envie de prolonger le trait. "J’ai retrouvé avec l’avènement des musiques électroniques la même énergie que lorsque que j’ai commencé à gratouiller une guitare électrique. Tu joues et tu vois. C’est comme ça que je suis passé de la saturation sur la guitare électrique à la recherche des infrabasses. Le coût abordable des home-studios et la proximité entre les scènes punk et reggae outre-Manche ont fait le reste" précise-t-il avant de nuancer cet idyllique tableau : "C’était une sale période pour Saint-Étienne."

En effet, le déclin industriel de la ville et son corolaire, le chômage de ses habitants, assombrissent un paysage couleur charbon, copié-collé de ce qui pouvait se vivre alors dans certaines villes outre-Manche. "C’est à cette époque, juste avant le changement de siècle, que j’initie le collectif Bangarang, réunion de deux groupes d’ici : Another Sound System Experience (dont l’acronyme reprend celui des Verts : ndlr) auquel j’appartenais et Brain Damage. Très vite, on collabore artistiquement avec la crème de la scène dub : Alpha & Omega, Zion Train au Royaume Uni, Skiz Fernando aux États-Unis et Improvisators Dub en France et l’on noue des liens professionnels avec la structure parisienne Hammerbass."

Des remixes et des albums

Si sa petite manufacture stéphanoise de dub ne connaît pas la crise, le projet ASSE finit, lui, par rendre l’âme. "C’est là que débute l’aventure Fedayi Pacha" commente celui qui commença par remixer des titres du projet jazz-électro de Laurent de Wilde et Otisto 23, de Soulfly, le metal band de Max Cavalera (Sepultura) ou d’Alexander Hacke d’Einstürzende Neubauten. "Dub Works, mon premier album sous Fedayi Pacha est paru en 2005."

Au rythme d’un album tous les deux ans (The 99 Names of Dub en 2007, From The Oriental School of Dub en 2009 et Global Pillage en 2012), le producteur construit peu à peu son empreinte, une griffe révélée à un public plus large grâce à un titre, Sub Sahara, enregistré avec le joueur de guembri Nassim Kouti (présent aussi sur un titre de cet opus, Gnawi Dub). Le titre sera diffusé sur de nombreuses radios indépendantes.

La touche orientale de ce musicien aux origines arméniennes ne fait plus de doute. Les scènes s’enchaînent. De petits clubs en méga festivals, le producteur qui monte sur scène en djellaba, le capuchon bien descendu sur le devant du crâne, voyage à travers le monde, des monts du Forez à l’Arménie, en passant par le Maghreb ou la Casamance.

La métamorphose

Son Orient naît sur les rives de la Méditerranée, une mer qui l’a inspiré. "J’ai eu envie de confronter le mythe fondateur d’Homère qui parle d’éducation, d’amour, de guerre, de vengeance, aux réalités du moment, aux naufragés par exemple, de donner un peu de profondeur à la musique à danser que je produis. De plus, cela s’inscrivait dans le droit fil de mes dernières recherches autour des voix" renchérit celui qui, jusqu’à présent, a toujours privilégié la musique et le rythme.

"Les parties vocales se limitaient à des samples dans la majorité des cas, samples que je travaillais en tant que tels" rappelle-t-il. "Cette fois-ci, du fait de l’abondance de chanteurs et chanteuses et de leurs apports musicaux, j’ai dû me pencher sur de vraies structures, parfois même des couplets-refrains comme dans une chanson."

Sidi H’Bibi

Ici, sur cette dizaine de titres enregistrés avec Manu Chehab et Pogo Bongo, ses compagnons du Akbar Orchestra et de nombreux invités musiciens et chanteurs, la mer n’est pas une barrière infranchissable, mais un trait d’union entre les musiques et les peuples. Il en va de même avec le Sahara où se croisent rythmes du Maghreb et d’Afrique Noire.

Sur Tukina Dem, un dub à la rythmique minimaliste et aux accents house, le chanteur et MC sénégalais ThioumC nous raconte l’exil. Sur Lotus Eaters, la chanteuse indienne Priyinka Bhosle nous parle du risque du voyage sans retour, comme le faisait Homère avec l’île des Lotophages. Popularisé dans le passé par la Mano Negra, Sidi H’Bibi est repris ici avec la complicité de Philippe “Garbancito” Teboul, le percu/batteur de l’illustre formation parisienne. "Avec Philippe, on se connaît bien et depuis longtemps. J’ai organisé le premier concert de la Mano (Negra) à Saint-Étienne. Il se trouve qu’il vit désormais ici" explique le producteur au parcours de vie digne des plus belles odyssées.

Fedayi Pacha O D C (Casamance) 2018
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