Trust, toujours vert

A cinquante-deux ans passés, Bernie Bonvoisin est un vieux routard des interviews. Pourtant, dès qu’il aborde des sujets sociaux, il ne peut s’empêcher de régler leur compte à tous les politiciens en place. Trust et son chanteur sont bien de retour avec 13 à table, album blues rock grande gueule, mâtiné cette fois-ci de scratchs léchés. Si la forme évolue, le fond reste toujours aussi virulent.

L’histoire de Trust, seul groupe heavy rock français a avoir eu un tant soit peu de renommé à l’étranger, a toujours été émaillée de coups de gueules, départs, séparations et reformations. Après une brouille longue de plus de dix ans, les deux gardiens du temple, Bernie Bonvoisin (voix) et Norbert Krief (guitare), décidèrent de mettre – momentanément – les reproches de côté, le temps d’un concert événement en 2006. La sauce pris si bien que le groupe enchaîna sur une tournée et la sortie d’un live accompagné de trois inédits. Un disque poétique répondant au doux nom de : Campagne 2006 : Soulagez-vous dans les urnes ! Dans ces conditions, autant continuer à se faire plaisir, Trust retourne donc en studio et accouche en un temps record de son douzième album, 13 à table. Un disque qui marque une évolution à faire passer le goût de la bière au fan le plus fidèle : l’intégration d’un DJ hip hop dans le groupe de heavy métal de toujours.

Assis à la terrasse d’un café parisien, les yeux bien à l’abri sous ses Ray Ban, Bernie Bonvoisin commence par débiter les banalités d’usages : "Pour nous, c’était une vraie envie, un vrai besoin", "On n’est pas dans une démarche de racolage" ou "Ce qui est essentiel, c’est d’être ouvert à toutes les musiques, toutes les cultures." On apprend au passage qu’il "kiffe" principalement le gros hip hop bling bling américain, Jay-Z et Notorious B.I.G en tête.

"On cherche constamment"

A l’écoute de ce 13 à table, peu de changement pourtant. "Nono" Krief balance toujours ses inusables riffs blues rock et Bernie assène ses propos plus qu’il ne les chante. Loin, très loin, on entend quelques scratchs qui arrivent sur la pointe des pieds. Le hurleur en chef prend la défense de son nouveau protégé, DJ Deck : "Ça n’a pas été simple pour lui, la réaction première des gens [lors de la tournée de "reformation", ndr] l’a un peu traumatisé. Il est rentré d’une manière un peu timide dans les morceaux. On était là pour le rassurer, pour lui dire de ne pas se prendre la tête. Maintenant, il a trouvé pleinement sa place. Et puis on cherche constamment. Là on répète et on a même fait évoluer les titres depuis l’enregistrement."

 

Sans bouleverser ses fondamentaux, Trust a subtilement fait évoluer son style. DJ Deck apporte, par petites touches, une couleur différente, comme ses chœurs samplés sur l’excellent Tout est à tuer. Le groupe de vieux briscards ose même là où on ne l’attendait pas avec La Morsure, un titre étonnant à la rythmique et au flow franchement hip hop mais que la guitare bien lourde de Nono vient pervertir à point.

Bernie mort à pleine dent

Bernie conserve une voix mesurée lorsqu’il aborde les références religieuses du titre et de la pochette de l’album, 13 à table : "J’ai eu assez peur quand j’ai entendu que certains regrettaient que la notion de chrétienté n’apparaisse pas dans la Constitution européenne. Je pense qu’il faut faire très attention sur ces thèmes-là, il est important et essentiel d’être dans l’apaisement. Attiser les haines, on sait à quoi ça mène…"

 

Mais la nature reprend peu à peu ses droits. "Je pense qu’il faut être vigilant et avoir un positionnement ne serait-ce que citoyen, entame Bernie. J’ai un discours de la rue, je ne milite pour aucun parti. C’est important pour moi que les gens aient un avis sur la société dans laquelle ils vivent."

Il mord à pleines dents le filtre de sa cigarette, l’arrache d’un coup sec, et reprend, beaucoup plus véhément. "On ne dit pas qu’on va changer les choses ou les mentalités. Mais je pense que c’est important en tant qu’artiste de se positionner là-dessus parce que si on ne le fait pas, c’est qu’on est vraiment un sale mec ou qu’on ne pense qu’à sa gueule. Que les artistes qui disent : 'moi je n’ai pas d’opinion sur ceci ou cela', aient au moins la franchise de dire qu’ils ne veulent pas se prononcer de peur de vendre moins de CDs. Moi je m’en fiche de vendre moins si j’ouvre ma bouche. J’ai plutôt une vie privilégiée, je pourrais rester dans ma bulle et m’en taper. Mais ces choses-là me dérangent. "

Bernie s’en prend ensuite à Vladimir Poutine ainsi qu’à Nicolas Sarkozy en termes plus que fleuris "On savait que les politiciens n’avaient pas le gène de la honte, maintenant ils ont aussi perdu celui du courage..." Le propos est parfois un peu exagéré mais toujours construit, documenté, argumenté. A se demander si la fin de cette interview ne va pas coïncider avec le début du grand soir ! A cinquante ans passés, Bernie n’a pas perdu la flamme. Qu’avec cette nouvelle évolution musicale, Trust perde ou gagne de nouveaux fans semble finalement secondaire. L’important c’est de pouvoir continuer à l’ouvrir, s’indigner, alerter, contre vents et marées.

Trust 13 à table (Mercury / Universal) 2008
En tournée en France et en concert au Zénith à Paris le 14 octobre 2008