Gaëtan Roussel, seul parmi les autres
Avec le pimenté Ginger, Gaëtan Roussel, le leader du cultissime groupe français, Louise Attaque, se la joue solo, mais non solitaire : de son propre aveu, il n’a jamais travaillé avec autant de monde. Une œuvre collective, donc, qui réjouit par son groove et sa poésie.
RFI Musique : Vous avez collaboré avec Alain Bashung sur son ultime album Bleu Pétrole, avec Rachid Taha pour son disque Bonjour, et travaillé sur le single de Vanessa Paradis, Il y a... Que vous ont apporté ces expériences ?
Gaëtan Roussel : Dans ma vie de musicien, je n’ai connu jusque-là qu’une culture musicale de groupe. Dans ces collaborations, il y avait donc une multitude de "premières fois", notamment celle d’être plus "seul" qu’à l’accoutumée. Ce travail me renvoyait à moi-même, il me fallait être force de propositions. Ces expériences ont fait mûrir l’idée d’un disque solo : une sorte de sas de décompression avant d’arriver à ce que je vis actuellement.
L’idée d’un disque solo a donc mûri progressivement ?
Disons que je n’ai pas eu de déclic. D’une part, je venais de vivre ces expériences de collaboration, et d’autre part, les groupes dont je faisais partie – Louise Attaque, Tarmac – n’étaient plus en mouvement. Du coup, j’étais libre de contextes, pour provoquer ce projet qui a germé petit à petit dans ma tête puis dans le quotidien du studio. Les copains passaient, nous jouions, je bidouillais, empruntais une direction, rebroussais chemin, tentais. Et puis, il y a un an et demi, j’ai décidé de réaliser ce disque, et j'ai commencé à avoir quelques envies précises. Je me suis en définitive créé une autre aire de jeu...
En quoi le travail solo diffère-t-il d’une aventure de groupe ?
Les réalisations musicales s’effectuent souvent en ping-pong. Tu apportes une idée, quelqu’un la modifie, tu te la réappropries, ainsi de suite. Dans un groupe, les joueurs sont définis. Alors qu’en solo, tu laisses la porte ouverte à toutes les intrusions. C’est du moins ainsi que j’ai travaillé. Je trouve extrêmement intéressant d’aller quelque part sans savoir où, de se frotter à différentes personnes, différents climats, différentes humeurs pour avancer. Je ne souhaitais pas réaliser ce disque en autarcie. Certains disent que le solo permet d’aller au plus profond de soi. J’ai plutôt cherché au plus loin de ce qui était devant moi. Si tu bloques, la confrontation avec les autres t’ouvre une brèche qui te permet de continuer. Après, à toi de savoir si tu es en train de te perdre, ou s’il s’agit d’une clé... En fait, je n’ai jamais travaillé avec autant de monde que pour ce disque !
Pouvez-vous présenter les différents protagonistes de ce projet ?Il y a d’abord Joseph Dahan, ex-bassiste de la Mano Negra, qui a déjà joué avec Tarmac. Sans se perdre de vue, on ne se voyait plus. Puis nous avons recommencé à jouer ensemble 1, 2, 3, 10 fois, sans envie de monter un groupe, mais plutôt de prendre le plaisir là où il se trouvait. Tout était autorisé, possible ! Puis j’ai rencontré Julien Delfaud (Phoenix, Super Discount, ndlr) qui m’a aidé à produire, enregistrer, agencer les idées, organiser toute cette matière brute. Lui-même m’a présenté Benjamin Lebeau (The Shoes, ndlr), qui avait plutôt une culture du remix, de l’électro, un peu éloignée de mon univers. Et puis, je me suis rendu à New York, parce que je souhaitais travailler avec Tim Goldworthy (LCD Soundsystem, Massive Attack, ndlr). Il pouvait m’orienter vers des ailleurs imprévus, me pousser à faire autrement parce qu’il n’a pas la même approche musicale que moi. En tant que producteur, il va découper la chanson, la révéler. La construction, c’était donc un puzzle, une boule de neige constituée d’éléments disparates que la concentration et les envies de tous ramenaient vers une création solide, une chanson fluide, une unité...
Dans cet album, vous portez un soin tout particulier au groove, au côté rythmique et dansant...
C’est comme ça que le projet est né, par son côté groove, cette matière sonore, plus que par les mots, qui sont venus se greffer après, avec les mélodies. D’où des chansons aux textes courts, qui ne lésinent pas sur les refrains, les remix, les répétitions, qui balancent entre l’anglais et le français. Il y a un côté plus intuitif !
Du coup, votre projet ne ressemble pas vraiment à Louise Attaque, ni à Tarmac...
Je voulais éviter l’écueil du chanteur d’un groupe qui fait plus ou moins pareil. Il fallait être radical, explorer de nouveaux horizons, faire confiance à des gens, se mettre en danger. En même temps, je n’avais pas envie de me situer en rupture. Je souhaitais que des ponts existent entre ces différentes formations, mettre du moi. Et moi, c’est tout ce que j’ai fait avant, mais aussi, bien sûr, tout ce qu’il y a devant !
Gaëtan Roussel Ginger (Barclay) 2010
En concert à la Cigale le 28 avril et en tournée en France.