Melissmell, le chant de l'âme

"L'Ankou", album de Melissmell © Christophe Acker

Melissmell est une humanité d'un bloc. Elle publie L'Ankou, un troisième album très rock, autour duquel rode la mort. Atteinte par une maladie orpheline qui lui détruit ses intestins et d'un trouble bipolaire qui l'amène souvent dans des gouffres, elle se livre sincèrement. Rencontre.

RFI Musique : On connait votre intérêt pour Noir désir : quelle place a eu ce groupe pour vous ?
Melissmell
: Ses membres ont eu le rôle de pères spirituels, d'exemples, jusqu'à l'accident qui s'est passé. Ils m'ont fait grandir. Je suis née en 1981, presque au moment où ils se forment. À 9 ans, j'entends parler de Noir Désir et à partir de ce moment, je deviens une fan absolue. Après, j'ai écouté toute leur discographie. Je les ai suivis, j'ai vu quelques concerts et j'ai voulu faire cette musique-là, ce que je pouvais pour continuer dans cette direction. Noir Désir, Brel, Ferré, et surtout Mano Solo, ce sont des artistes qui ont pansé mes plaies. 

Évidemment, la mort de Marie Trintignan à Vilnius a changé la perception qu'on a de l'homme, mais on a souvent dit que votre chant est celui d'une Bertrand Cantat au féminin.  D'où provient ce chant ?
Des tripes, justement parce que je n'en ai plus. À 11 ans, on m'apprend que j'ai une maladie génétique qui ronge mes intestins, une polypose adénomateuse familiale, et on m'enlève les tripes à 20 ans.
Ma voix ne vient pas que de là. Mais au moment où on m'arrache ça, ce sont les viscères qui sont dans la gorge. J'ai eu encore plus de rage. Avant cela, je chantais déjà en amateur, mais je n'avais pas l'intention d'en faire mon métier. J'allais chanter dans les rues, dans les squats, jusqu'à ce qu'on me dise de continuer encore et encore.

Parlons de ce disque qui porte le nom du "passeur d'âme" dans les légendes bretonnes. L'Ankou est une représentation de la mort…
Avec Bruno Green, qui a réalisé ce disque, Matu, aux claviers, Yann Ferry, à la guitare, et Gaël Desbois, le batteur,  j'étais entourée de Bretons. Du coup, quand j'ai su cela, je me suis dit : "Allez, on va l'appeler comme ça." Je m'étais bien sûr renseigné : c'était un nom qui me convenait. L'Ankou est le jumeau de la mort, le frère de Dieu.

Dieu est très présent dans ce disque. Quel rapport avez-vous à la foi ?
J'ai été mise au catéchisme très tôt, j'ai dû étudier la Bible. Puis, j'en ai eu marre. J'ai fait un bras d'honneur à l’Église. Quand j'ai su que j'étais malade, je ne croyais plus en Dieu. Ma meilleure amie est catholique, elle parle de Dieu comme de son maître à penser. Moi, je suis plutôt de l'école Ferré quand je dis "Dieu et le Diable, il faudra bien les pendre" ! Peut-être que Dieu et le Diable sont la même personne, mais peut-être aussi que ces deux personnes n'existent pas, en fait.

Pourquoi dites-vous dans Le Pendu : "Et pendez votre Dieu comme vous pendez les femmes" ?

C'est actuel, on pend les dieux comme on pend nos femmes. La représentation de la femme aujourd'hui, ça peut être une prostituée, un jouet ou celle qu'on ne représente pas. Bizarrement, ceux qui ne représentent pas leurs dieux ne représentent pas les femmes non plus. C'est donc une affirmation des clivages entre les femmes et les hommes dans notre société, où il n'y a pas d'égalité, où la femme représente le diable, la tentation.

Ce disque parle beaucoup de la mort. Est-ce lié aux attentats qui ont touché la France depuis le massacre de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015 ?
Cet album a été écrit avant les attentats sauf Le pendu. Le pendu, on était en plein Charlie, entre le 7 et le 11 janvier. C'est à ce moment-là que je décide d'écrire ma dernière chanson pour cet album.
Cette chanson est un travail sur l'histoire de la poésie. J'ai pris Le bal des pendus d'Arthur Rimbaud et La ballade des pendus de François Villon et j'ai essayé de faire ma cuisine, de trouver une autre formulation au Pendu. Comme je l'avais fait avec Aux armes [avec La Marseillaise et le texte, Des Armes de Léo Ferré : ndlr], ceux qui connaissent ces poèmes reconnaîtront les quelques vers que j'ai pris pour en faire un acrostiche sympathique.

Votre écriture était alors une réaction à cela ?
C'était sur le vif en plus ! J'ai préféré garder cette colère quand j'ai su que les Frères Kouachi n'ont pas tué une des femmes qui était à Charlie Hebdo uniquement parce que c'était une femme.
C'est sain de crier cela dans ce contexte ! Cela me semblait important que ce Pendu soit aujourd'hui écrit par une femme.

Adieux est une chanson très noire dans laquelle vous dîtes au revoir à la vie. N'est-ce pas un peu tôt à 35 ans ?
Je me suis dit qu'avant de quitter l’enveloppe et dire bonjour à l'Ankou, il valait mieux dire adieu à ce qui nous a touchés. J'ai une maladie génétique orpheline qui est une sorte de cancer, je vis au jour le jour. Je ne vais pas mourir demain, c'est sûr, mais j'ai conscience de la mort depuis l'âge 11 ans et même plus tôt. En l'écrivant, c'était aussi un clin d’œil à Salut à toi de Bérurier Noir. C'est une litanie. Comme c'est important de dire bonjour chaque matin, c'est important de dire adieu. J'aurais même dû le faire avant.

Melissmell L'Ankou (Discograph/Pias) 2016

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