The Limiñanas, la touche française

Le duo The Limiñanas. © A. Crane

Adopté par l’Amérique underground, le rock à l’ancienne de The Limiñanas a séduit les Anglais de Primal Scream comme Anton Newcombe. Produit par le leader du Brian Jonestown Massacre, leur nouvel album, Shadow People, devrait encore faire grandir la notoriété du prolifique duo perpignanais. Guitare fuzz, parlé/chanté en français et culture rock’n’roll profondément ancrée, voilà la recette de l’un des groupes français les plus "fun" de l’époque.

La première chose qu’il faut dire, c’est que The Limiñanas sont des gens sympas, exactement le genre de personnes avec lesquelles on referait le monde autour d’un bar. On boirait des coups, on parlerait des aventures pas possibles qu’ils ont eues en tournée et la nuit passant, on revisiterait tout le son des années 60. Les classiques d’Otis Redding et de la soul, les groupes de garage comme The Seeds et The Remains, ou encore les grands oubliés de l’époque, Question Mark and the Mysterians, The Music Machine ou le songwriter Del Shannon.

Couple à la ville comme à la scène, Marie et Lionel Limiñana se sont rencontrés au lycée, mais ils ont formé The Limiñanas il y a une dizaine d’années seulement. Lorsque les membres des Migas Valdes et El Vicio, dans lesquels ils jouaient, sont partis sur les routes américaines accompagner les gloires locales d’alors, les Sonic Chicken 4, eux se sont "retrouvés un peu comme des cons". Marie se met alors à la batterie, Lionel à la guitare et joue des autres instruments. Ils postent alors deux titres sur le site MySpace, sont vite repérés par deux labels de Chicago, HoZac Records et Trouble In Mind, et se retrouvent au générique de la série Gossip Girl.

Des disquaires pointus

C’est le point de départ de The Limiñanas, mais ce qui intrigue, c’est la façon dont le groupe a intégré les codes du rock’n’roll. Lionel contextualise : "Depuis les années 90, il y a une scène garage-punk très riche à Perpignan. L’explication vient des disquaires. Il y a toujours eu de très bons disquaires qui importaient des disques super pointus. Donc, on était loin de tout, mais on avait accès aux albums de Jesus and Mary Chain quand ils sortaient et aux compils garage comme les Back on the Grave ou Les Pebbles. Dès qu’on a pu monter des groupes, on a essayé de singer les Stooges."

Bien avant de parcourir les États-Unis sans permis de travail, "payés avec un coup de pied au cul", les Limiñanas ont donc participé à un nombre incalculable de formations. Ils ont fait venir des groupes de garage américains, créé des labels et monté des magasins de disques, le tout "sans un franc de subvention – parce qu’à l’époque, c’était encore des francs !" Ce que les autres ne faisaient pas, ils l’ont bricolé avec leur bande de copains. Ils ont d’ailleurs gardé cette méthode de travail "do it yourself"  et continué d’enregistrer chez eux pour trois fois rien. 

Un producteur "cool"

Leur musique à l’ancienne est longtemps restée un secret bien gardé en France. C’est un disque avec Pascal Comelade, Traité de guitares triolectiques (à l’usage des portugaises ensablées), et la signature avec sa maison de disques Because (Christine & the Queens, Manu Chao, Charlotte Gainsbourg, etc.) qui leur a permis de passer le cap. Leurs quatre premiers albums, parus aux États-Unis, ont été réédités en double album sous le titre Down underground LP’s, et sans trop augmenter les cadences tranquilles de leurs tournées, ils ont pu quitter leurs jobs.

L’excellent Shadow people devrait achever de les faire sortir des cercles d’initiés. Après avoir été travaillé dans leur village des environs de Perpignan, Cabestany, l’album a été peaufiné à Noël 2016, chez Anton Newcombe, le leader de The Brian Jonestown Massacre. Loin de l’image de trublion du documentaire Dig !, Anton serait en réalité "le mec le plus cool (qu’ils aient) rencontré". "On a chopé un post sur les réseaux sociaux, où il disait qu’il voulait bosser avec nous. Le premier truc qu’il a fait, c’est nous inviter à faire sa première partie, au Trianon, à Paris, en nous prêtant tout le matériel pour qu’on n’ait pas de frais. À partir de là,  il n’a fait que nous aider", raconte Lionel.

Des guitares fuzz

Ils n’ont rien vu de la capitale allemande en hiver, à part "le studio d’Anton et l’épicerie à côté, où (ils allaient) acheter le café et les bières", et il en ressort un disque un peu plus sombre que d’habitude. Le côté série Z a fait de le place à un son plus psychédélique. La "fuzz", cet effet de guitare au cœur de leurs arrangements est bien là, mais il n’y a pas que ça.

Quant à son propos, Shadow People serait le résumé de leurs années lycées. Il y a donc Le Premier jour, où l’on découvre les bandes de mods et de hippies, une fille survoltée, Motorizatti Marie, et Dimanche. Chanté par Bertrand Belin, ce portrait d’une fiancée manifestement bipolaire –

"Un jour, le Sud, le lendemain, le Nord / Le grand Nord, j’adore !" - est un chef-d’œuvre d’humour Dada.

Pas uniquement pour ses instrumentaux imprégnés des B.O. d’Ennio Morricone, ce disque est à ce jour la superproduction de The Limiñanas. Outre la présence d’Anton Newcombe et la patte de son ingénieure du son, Andrea Wright, on retrouve la basse de Peter Hook de New Order, et l’actrice Emmanuelle Seigner pour une chanson/titre en anglais. Le paradoxe de ce groupe est là, puisqu’inspirés du rock’n’roll, ils chantent autant en français qu’en anglais. "Les textes en français, c’est ce qui prend le plus de temps, parce que c’est très délicat. La frontière entre le pathos et le ridicule est très fine, confesse Lionel. Même un texte comme Je ne suis pas très drogue, qui a l’air d’avoir été écrit en cinq minutes prend vachement plus de temps que d’enregistrer trois ou quatre faces de musiques."

The Limiñanas Shadow People (Because) 2018

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