Feu! Chatterton, avec le retour du printemps

Le groupe Feu! Chatterton. © Sacha Teboul

Ils ont participé à remettre au goût du jour l’écriture en français dans le rock. Les Feu! Chatterton reviennent avec L’Oiseleur, une suite enchanteresse où ils invitent les poètes à leur table, Guillaume Apollinaire, Louis Aragon et Paul Eluard. Peu avant que ces attrapeurs de mots reprennent la route, on a retrouvé Arthur Teboul, chanteur de l’élégant quintette parisien. 

Ce jour-là, la conversation restera sur l’image d’un jardin et ce n’est pas tout à fait un hasard. Car cet endroit dans lequel les saisons marquent le temps, c’est un peu ce que Feu! Chatterton a essayé de faire avec sa musique. "Ce monde va vite, il est insaisissable, note Arthur Teboul, son chanteur à la voix éraillée. Le flux rend les choses si évanescentes qu’il est difficile de trouver la tranquillité, le repos, le calme. Il y a la valeur de l’argent aussi, l’idée de rendre les choses rentables, optimisées. On a essayé de faire le contraire de cela. Ces chansons, il faut prendre le temps pour y entrer, mais une fois qu’on y est, c’est un jardin, libre, sauvage, serein."

Après des années de tournée intenses, au cours desquelles ils ont trouvé leur public sur scène, les Feu! Chatterton ont trouvé "un refuge" douillet. L’Oiseleur est né sur une année, à la suite d’escapades dans le sud de l’Espagne et en Sicile, et des lectures qui ont accompagné son chanteur durant ces voyages. Il y a eu Le Marteau sans maître de René Char, et Alcools d’Apollinaire, dont on trouve des bribes dans Souvenir. "Nous ne nous reverrons plus sur terre / Dit le poème / Le passé vient plus vite qu’on ne pense / À genou, j’implore ciel et mer / Et ce brin de bruyère / Un souvenir pour récompense", dit la chanson, citant le poème L’adieu.

Guidés par l’émotion

Le groupe parisien est l’un des plus lettrés de la musique actuelle et cela nourrit son rock romantique, à contre-courant des modes. Lui qui faisait déjà référence à Louis Aragon dans ses premières chansons adapte cette fois-ci son poème Zone Libre. Longtemps restée dans les tiroirs, cette chanson sur la rupture contient un sous-texte politique. Il est assez clair que la France occupée de la Seconde Guerre mondiale qui court dans l’œuvre d’Aragon, fait écho au pays fragilisé par les attentats islamistes de 2015 et votant massivement à l’extrême-droite lors des derniers scrutins électoraux. Mais le choc de Zone Libre a été d'abord esthétique...

"Avant tout, on est guidé par l’émotion que l’on a ressentie au moment où l’on a lu, vu ou entendu quelque chose, raconte Arthur. J’ai trouvé Zone Libre très beau parce qu’il raconte ce moment du 'fading'. Cela vient de l’anglais 'fade', quand les choses s’amenuisent. Il parle de l’intensité de la douleur, de la mélancolie. 'Fading de la tristesse oubli / Le bruit du cœur brisé faiblit / Et la cendre blanchit la braise'. J’ai été bouleversé par ces quelques vers. 'La cendre blanchit la braise', je trouve ça merveilleux ! Cela signifie exactement ce sentiment qu’on peut avoir quand quelque chose en nous est très intense, comme un sentiment amoureux, et qu’il vient gentiment, tranquillement, s’éteindre."

Si Le Départ est une adaptation de trois poèmes de Paul Eluard, le groupe est bien conscient du rapport paradoxal entretenu par la chanson, fût-elle rock, et la poésie. "On nous dit que nous faisons de la chanson poétique, mais ce n’est pas la même façon d’écrire. La chanson est une sorte de mélange entre le texte et le son. Cela ne respecte pas les mêmes règles, ce n’est pas le même enjeu. D’ailleurs, les plus belles chansons du monde sont beaucoup moins belles écrites, car leur mystère réside dans leur forme pure. Les chansons ne sont pas faites pour être lues, mais entendues", constate le chanteur.

L’utilisation constante d’onomatopées, les libertés prises avec la musique ne peuvent tromper l’auditeur. Même avec sa langue surannée et ses muses (Grace), c’est bien dans le domaine du rock en français que reste Feu! Chatterton, mais un rock nourri de la chanson, du jazz, comme du hip hop (L’ivresse).

Alors que le bassiste Antoine Wilson a largement été influencé par les musiques électroniques, la paire de guitaristes formée par Clément Doumic et Sébastien Wolf triture les claviers autant que ses guitares. C’est même devenu une façon de faire entre eux d’employer cet instrument uniquement lorsqu’il s’impose à eux. Contrairement à ce que feraient penser des sonorités sorties de la BO d’un vieux James Bond (Ginger), il s’agit d’une musique bien dans son époque…

Feu! Chatterton a donc cultivé son album comme un jardin, patiemment, tranquillement. Il a laissé  mûrir ses chansons et les a cueillies en studio, où elles ont été achevées. On lui en sait gré, car même après des dizaines d’écoutes, L’Oiseleur sait encore nous attraper.

Feu! Chatterton L'Oiseleur (Barclay) 2018

Site officiel de Feu! Chatterton
Page Facebook de Feu! Chatterton