Marquis de Sade, une histoire rennaise
Ce fut le groupe emblématique de la scène rennaise à l’aube des années 80. Suite à sa reformation initialement éphémère en septembre dernier, Marquis de Sade poursuit à partir de ce mois-ci, une tournée de quelques concerts. Ses membres et des acteurs de son épopée racontent de l’intérieur une formation majeure pour le rock dans sa ville et en France.
Le premier morceau s’achève et Philippe Pascal applaudit, presque mécaniquement. "Merci", lance-t-il d’abord. Puis il enchaîne : "Bonsoir Rennes. Nous sommes les Marquis de Sade." Le groupe de rock culte s’est retrouvé sur scène le 16 septembre 2017, et pour ce concert donné devant 3 000 personnes au Liberté, beaucoup ont fait le déplacement. Étienne Daho, Pascal Obispo, Yann Tiersen ou encore Dominique A… Une famille élargie qui a grandi en écoutant cette musique et nourri la mystique de la scène rennaise.
Pour ses quarante ans, le Marquis a fait son retour dans le cadre d’une exposition qui lui était consacrée lors d’une biennale des arts urbains. C’est un plasticien d’obédience punk, Patrice Poch1, qui a été à l’origine de cette reformation autour de son noyau dur : le batteur Eric Morinière, le bassiste Thierry Alexandre, le guitariste Frank Darcel et le chanteur Philippe Pascal. Travaillant sur le début des années 80, Poch avait déjà eu l’idée de faire jouer son premier 45 tours au Marquis voici sept ans, mais "c’était trop tôt", semble-t-il.
Quatre ans, deux albums, deux 45 tours
Marquis de Sade est reparti surtout pour l’amour de l’art, d’autant qu’il n’a jamais été "un groupe de potes", comme le confiaient au quotidien Libération, ses frères ennemis, le guitariste Frank Darcel et le chanteur Philippe Pascal, à la veille de monter sur scène. "Marquis de Sade a été une 'vision', un projet frénétique qu'une poignée de jeunes gens (et pas seulement les quatre membres du groupe) ont porté, partagé, élaboré dans l'urgence le temps de deux albums et deux 45 tours avant de s'autodétruire brutalement", rectifie ce dernier.
De ses premiers pas, en 1977, à sa séparation quatre ans plus tard, le groupe a été un creuset pour beaucoup de musiciens rennais. Formé dans la mouvance punk par Christian Dargelos, surtout connu pour avoir été le leader des Nus, et Frank Darcel, alors étudiant en médecine, il évolue d’abord au gré de ses changements de noms : Detroit Punk, Gang Rennes... C’est la rencontre avec son chanteur, qui assoit son style glacé. Grâce à une gestuelle désarticulée, Philippe Pascal incarne visuellement Marquis de Sade, qui chante bientôt Conrad Veidt, un acteur du cinéma allemand de l’entre-deux-guerres, et s’inspire des films de Wim Wenders, Reiner Werner Fassbinder ou Luchino Visconti.
"Ils cherchaient un chanteur, tout le monde disait que Philippe avait du charisme. Mais il a développé ce charisme, témoigne Hervé Bordier, le producteur de leur premier 45 tours et ancien manager. Egon Schiele, l’expressionnisme allemand… il est parti sur une autre planète. Ce qui n’était pas du tout prévu au départ. Les premiers concerts, c’était plus un Iggy Pop sauvage que le dandy en costume." En coulisses, le guitariste Frank Darcel contrôle une orientation musicale en constante évolution et fait le ménage si ses membres ne sont pas assez sérieux.
Les garçons de bonne famille qui revendiquent leur identité "européenne", sentent le souffre. Outre leur nom emprunté à un auteur libertin, ils sont souvent assimilés à l’extrême-droite locale. "À l’inverse des Anglais, on n'était pas dans ce genre de provocations, réfute Franck Darcel. C’est simplement que dans une ville comme Rennes, avoir les cheveux courts, des uniformes avec une cravate, ça passe mal ! Pour nous, les choses étaient très claires. On était conscient que le nazisme avait marqué la fin de tout ce que l’on aimait dans l’art, comme le cinéma expressionniste et le Bauhaus."
Des TransMusicales aux débuts d’Étienne Daho
Alors que le punk investit les lieux banchés de Paris, la cold-wave de Marquis de Sade représente bien plus qu’une alternative intello. Sa participation à la première édition des "Rencontres Trans.musicales", le vendredi 15 juin 1979, à la salle de la Cité, marque la naissance du festival breton. "Pour nous, c’était le groupe auquel tu pouvais t’identifier et être fier qu’il soit de ta ville. C’était un peu comme être supporter d’une équipe de foot", résume Jean-Louis Brossard, son programmateur historique, qui fut parmi ses fondateurs.
Son premier album, Dantzig twist, ancre Marquis de Sade dans les pages de la presse rock. Les "cinq européens en costumes électriques" sont suivis par une nouvelle génération de critiques comme Jean-Eric Perrin, de Rock'n'Folk, ou Antoine de Caunes, qui les accueille dans son émission Chorus. "Les jeunes gens modernes aiment leur maman", titre le magazine Actuel, qui les met en couverture au mois de février 1980. L’enregistrement chaotique de leur deuxième album, Rue de Siam, exacerbe les tensions entre Philippe Pascal et Frank Darcel, précipitant la fin de l’aventure.
Marquis de Sade donne un concert d’adieu le 28 avril 1981, à l’Espace de Rennes, devant un millier de personnes ; son chanteur forme Marc Seberg et son guitariste fonde Octobre dans la foulée. Autour de Frank Darcel, les musiciens du Marquis accompagneront les débuts d’Étienne Daho. "Entre 1977 et 1985, il y a eu un âge d’or à Rennes, qui évoquait un petit New York, estime Grégoire Laville, auteur du livre Quand Rennes s’est révélée rock2. C’était un moment de liberté, et pas seulement pour la musique, aussi pour les arts graphiques ou le théâtre."
C’est cette mémoire que convoque le live 16.09.17, où le Marquis apparaît fringant en dépit de trente-six ans de silence. Si le concert d’un soir va être suivi d’une tournée qui s’achèvera sur la scène des Vieilles Charrues, en juillet, il n’y a pas de nouvel album de Marquis de Sade programmé à ce jour.
1Devenu l’archiviste du groupe, Patrice Poch est l’auteur du livre : Marquis de sade, 1977-2017 (Poch éditions) 2017.
2Grégoire Laville Quand Rennes s’est révélée rock (Éditions Ouest-France) 2018.
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