Radio Elvis, cet obscur objet du désir

Radio Elvis publie son 2e album studio : "Ces garçons-là". © Fanny Latour-Lambert

Après un premier album initiatique et une Victoire de la Musique en 2017, le trio emmené par Pierre Guénard affirme son identité avec Ces garçons-là. Un disque direct, plus électro-rock que le précédent, dont le propos toujours littéraire se charge de confessions très personnelles et sombres. Interview.

Des allures de jeunes gens modernes, une musique exigeante et des textes imprégnés de culture littéraire et cinéphilique. Le trio Radio Elvis – soit, dans le civil, Pierre Guénard (voix, guitare), Manu Ralambo (guitare et basse) et Colin Russeil (batterie) – s’est imposé vite, très vite, dans le cercle restreint des groupes de rock français qui comptent. Premier album en 2016, première Victoire de la musique en 2017 catégorie "Album révélation".

Une reconnaissance flatteuse, mais piégeuse. "La première tournée a été très intense. On a enchaîné plus de 250 dates, explique Pierre. Et ces récompenses nous cantonnaient parfois dans le rôle de bons élèves. Il fallait que l’on change nos habitudes, que l’on se mette en danger."

En pleine tournée, le trio se retrouve donc quelques jours en studio dans un manoir des Landes, avec un équipement prêté par Denis Barthes (batteur de Noir Désir). "Colin, le batteur, s’est mis au claviers et à la boîte à rythmes, Manu derrière le piano, nous n’avions plus nos repères habituels. Les premières compositions sont nées comme cela, plus brutes et incisives."

Ces garçons-là est un véritable disque collaboratif pour ce trio désormais rompu à la scène. "Lorsque j’ai formé le groupe, nous nous connaissions à peine, explique Pierre. Nos influences étaient très éclatées. Au fil du temps, on s’est construit quelques références communes, comme LCD Soundsystem, MGMT, Nick Cave. Cela nous a donné une direction, un cap."

Cinématographique

Après l’introductif 23 minutes aux accents disco-rock, les titres se succèdent comme autant de plans séquences, clair-obscur, comme L’Éclaireur, ou chargés de l’électricité contenue de la ville sur New York. "On a joué une fois à New York. Je voulais décrire cette situation de solitude urbaine, explique-t-il. Une atmosphère similaire aux films de Spike Jonze, que l’on adore. C’est une influence majeure sur nous. De façon générale, nous sommes assez cinématographiques dans la manière de concevoir les morceaux."

Arrivé sur Prières perdues, titre-fleuve et charnière centrale de l’album, on mesure les avancées dans l’écriture. Dramatique et précieuse, toujours, mais plus frappante et sincère pour décrire le contexte personnel et tragique des attentats du 13 novembre 2015. "Ce jour-là, je venais d’assister à l’enterrement de mon grand-père, et je repartais en tournée le soir même. Arrivé sur le lieu du concert, on a appris la nouvelle du Bataclan et des attentats. Revenu à l’hôtel, j’écrivais Prières perdues. Une sorte de colère, face à l’absurde. Fini Fini Fini est un morceau très important pour moi."

Le défi posé à Pierre Guénard sur ce disque ? S’assumer, assumer sa part de drame et de noirceur en l’exprimant clairement, à la manière des rappeurs. "J’en avais un peu marre que le public trouve cela beau, mais ne comprenne pas le sens, je voulais être compris dès la première écoute. Être plus simple et moins intello. Moins sage aussi."

Noirceur et vécu

La matière première, le chanteur l’a puisée dans ce tourbillon d’événements personnels au cours de la dernière tournée du groupe. Une poussée soudaine dans l’âge adulte, pour ce garçon de 31 ans si longtemps conscient de la mort sans la vivre intimement. "Avant la musique, j’ai été croque-mort, pompier. J’ai exercé un tas de métiers qui me confrontaient à la mort. J’ai passé toute la première partie de ma jeune vie d’adulte à essayer de voir des choses, mais je ne les vivais pas vraiment. Pendant la tournée, on a vécu des ruptures, des décès, des rencontres amoureuses. J’ai moins vu, mais j’ai vécu."

À traverser tant de noirceur, le dernier titre sonne comme une petite délivrance. Ces garçons-là, single pop lumineux et entraînant, clôt l’histoire contre toute attente sur une cavalcade finale, même si la chanson tente plutôt de panser les plaies de souvenirs d’enfance violents. "On ne voulait pas commencer l’album par ce titre, cela aurait donné une fausse piste et nous pensions terminer sur une note positive, explique le chanteur. Cette chanson est tout un symbole : c’est le dernier titre composé avant l’enregistrement, et l’aboutissement de mon processus d’écriture. Il me donne des frissons. C’est un sentiment de plénitude totale quand j’arrive à être ému par mon propre morceau."

"Je suis ce garçon ordinaire", clame Pierre dans les derniers instants de l’album. Une chose est sûre, ces garçons-là ne le sont plus vraiment. 

Radio Elvis Ces Garçons-là (Le Label/PIAS) 2018

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