Paul Personne, la gratte et les mots
À 69 ans, Paul Personne est un guitar hero très discret. Il publie Funambule, un 26e album plein de coups de gueule et taillé dans le blues-rock. Ce chanteur qui ne fait rien à moitié s’est raconté avec une grande générosité. Instantanés d’une conversation où il nous dira qu’il a mis dans sa guitare, une Gibson "Les Paul", bien plus que quelques solos.
RFI Musique : Dans la chanson Chez moi, vous décrivez cette alternance entre les moments de tournée, où vous recevez beaucoup, et ces moments où vous vous retrouvez tranquille chez vous. On a un peu l’impression que votre équilibre passe par là…
Paul Personne : Dans le refrain de cette chanson, c’est partir pour mieux revenir. C’est ce qui m’a toujours plu dans cette vie. Parce que, quand t’es en tournée, tu dors dans des hôtels, tu rencontres des gens différents chaque jour, tu te tapes des bornes et des bornes. Il y a des moments bien, des moments moins bien, c’est fatigant ! Et si tu as la chance d’avoir un repère dans la vie, c’est bien pour l’équilibre. Pour certains, cela peut-être des racines, une famille, une femme et des enfants... Quand tu as été te perdre sur les routes de France et de Navarre et que tu rentres pour souffler, retrouver des paysages, des choses, des gens que tu aimes, ça te repose en tant qu’être humain ! Ce qui n’empêche pas qu’une semaine après, tu te dis : "Quand est-ce que je me casse ?" C’est vrai que j’ai eu toute ma vie cette alternance entre le fait de découvrir des choses nouvelles et puis, en même temps, cet équilibre.
Des morceau comme Les Dégâts ou Comedia, sont plutôt pessimistes. Pourquoi ce sous-titre : "Tentative de survie en milieu hostile" ?
De toute manière, je n’ai pas cherché à faire un album ensoleillé, optimiste, même s’il y a deux, trois bulles d’air !
Pour quelles raisons ?
Parce que je crois que je me suis fait avoir par ce qui se passait dans la vie. C’est ce que j’ai toujours fait dans tous mes albums, plutôt que de faire des bluettes. Entre les États-Unis et la France, on sortait de séquences politiques avec des bonimenteurs. Au début, tu rigoles, en entendant ces gens parler. Tu te dis : "Ouais, c’est comme d’hab’" Je voulais faire un album plus "à côté", sans tenir compte de ce qui nous terrasse tous les jours quand on allume la télé. Et en fin de compte, je me suis fait piéger par moi-même. Tout ce que je notais, c’était par rapport à ce que je voyais aux infos et à ce que j’entendais. Même des potes sortaient des litanies de conneries ! À certains moments, il y a une sorte de boule de colère qui est à l’intérieur et qui ramène à tout ce que je pense depuis que je suis môme par rapport à l’être humain. À ce qu’il est, à ce qu’il fait, à cette pseudo-intelligence qu’il croit avoir et qu’il utilise très mal par rapport aux animaux. Je ne crois pas qu’un monde d’animaux détruirait la planète en deux siècles, après une Révolution industrielle. Donc, une fois que tout ça se met en forme dans un shaker interne, ça donne ce genre d’album.
Mais à chaque fois, il y a quand même ces respirations, que vous appelez aussi dans vos refrains. Est-ce que vous ne retrouvez pas cela dans votre guitare ?
La guitare se permet des trucs que ne se permettrait peut-être pas la voix. Ma voix est ce qu’elle est, je dois faire avec. Je raconte des choses avec elle, des sensations, des émotions avec elle, je suis une sorte de "story-teller". Mais la guitare peut aller beaucoup plus loin, parce qu’elle n’a pas besoin de travailler les choses. Et comme j’improvise beaucoup, ça me permet d’aller dans le côté sensible, sexy, ou sinon, de gueuler. Elle peut être beaucoup plus agressive, plus ravageuse. Ce qui est marrant, c’est ce dialogue permanent entre la voix et la guitare, et cette complémentarité.
Quand vous jouez de la guitare, quelles sensations physiques avez-vous ?
Ah, c’est génial ! Mais c’est drôle, ça aussi. Certains soirs, on n’y arrive pas. On a un minimum de technique qui nous permet d’être OK, de ne pas mal jouer, mais par rapport à ce qu’on veut, on a envie de plus. C’est vraiment comme quelqu’un avec qui on ne s’entendrait pas bien, il y a un dialogue de sourds. Et puis, il y a des jours où ça roule… Mais la guitare n’a pas changé, ça doit juste être une histoire de moment psychologique ou de son dans la salle. Parce qu’un musicien est hypersensible au son qu’il a sur scène. Je sais qu’il y a des jours, on se bat vraiment contre l’instrument et puis il y a des soirs où, waouh, ça passe directement du cerveau aux doigts. Et dans ces moments-là, il y a une forme d’amour entre nous et ce bout de bois et de métal, on l’adore !
Revenons à ce disque pour terminer. Comment l’avez-vous imaginé et enregistré ?
Quand je fais un album, je laisse avancer le processus tout doucement, entre les musiques et les mots qui viennent dessus. J’ai plein de musiques dans un coin, plein de paroles dans un autre, et puis je relie tout ça. Au bout d’un moment, je me dis que je ne vais pas commencer à trouver quarante textes. Parce que ce n’est pas facile de trouver des mots sincères, sans être dans la redite. J’avais envie d’avoir des mots simples, ne pas avoir trop de métaphores, avoir une musique qui est très simple. J’ai fait l’album avec des musiciens avec lesquels je n’avais pas spécialement joué, sauf le bassiste. On a enregistré dans un petit studio à Forges-les-Eaux, en Normandie. Après, je l’ai fini au studio ICP, à Bruxelles. C’était un truc vraiment "très live", très rapide. Il y a plein de premières prises qui ont été gardées. En réécoutant, je me dis que je pourrais mieux faire techniquement. Mais au niveau du feeling, ça ne servirait à rien de le refaire.
Paul Personne Funambule (Verycords) 2019