Ausgang, l'énergie du rock et du rap conjugués

Ausgang. © Tcho Antidote

C’est avec un groupe de rock, Ausgang, que Casey retrouvera la scène. La rappeuse qui a grandi entre Rouen et le département de la Seine-Saint-Denis, n’a pas fondamentalement changé. Elle ausculte cette identité noire et les ombres de notre société, de sa plume à vif. Si sa musique, sombre, est coléreuse, Cathy Palenne se révèle au contraire lumineuse comme sur ce dernier opus, Gangrène.

D’elle, on garde surtout le souvenir de ses concerts avec Zone Libre. Des moments électriques où les guitares se frottent aux mots, où le rock et le rap en appellent à la catharsis. De ces instants où les corps chavirent, où les pieds touchent à peine le sol, et dont on ressort plein de sueur, il reste aussi une présence animale. L’évidence que pour la rappeuse Casey tout se joue sur scène.

"C’est l’un des rares trucs qui donnent un sens à ce que je fais, les concerts, concède-t-elle. Ce qui m’intéresse le plus dans ce métier, c’est de jouer devant des gens. Le fait d’être jaugée, jugée, d’avoir un retour direct. Je trouve aussi que c’est là qu’il se passe le plus de choses, parce qu’entre le moment où l’on a fait un disque en studio et une vingtaine de concerts plus tard, les morceaux n’ont plus du tout la même tête. Ça évolue, c’est une espèce de bête qui mute."

Casey nous parlera au téléphone d’exutoire et, dans un éclat de rire, du plaisir simple d’être "bête et contente" de soi. Loin de toute réflexion, la musique tient souvent à ces considérations physiques. Pour son nouveau groupe, Ausgang, elle retrouve le guitariste Marc Sens, ex-Zone Libre. Il y a aussi le bidouilleur Manusound, à la basse, et le batteur Sony Troupé, qui mêlent une fois de plus le rock et le rap.

Cette fusion, qui évoque les Américains de Rage Against the Machine, signe le travail de Casey. "Mon univers, c’est le rap à la base. Le rock, j’ai toujours aimé ça, parce que j’ai rencontré des gens qui m’en ont fait écouter quand j’étais plus jeune. Donc, ça n’a jamais été clivé dans ma tête. Je ne me suis pas dit qu’il y avait le rock d’un côté, et de l’autre, le rap. Pour moi, il y a une énergie en commun",  explique-t-elle.

"Anomalie du 93 avec une gueule caribéenne"

Dans le morceau Chuck Berry, la rappeuse se réclame de Jimi Hendrix et des inventeurs noirs du rock’n’roll. "Je l’ai dans la chair, je l’ai dans les veines / Qu’est-ce que tu crois, cette histoire est la mienne",  scande-t-elle. S’agit-il de pointer une appropriation culturelle dont le genre a fait l’objet ? De dire que cette musique apparue au milieu des années 1950 aux États-Unis, doit tout autant aux Noirs qu’à des Blancs qui l’auraient "inventée" ?

"Quand j’écris ce texte, je ne pense pas à une appropriation. Ceux qui écoutent du rock ou du blues savent pertinemment que le rock, c’est noir, même si ce n’est pas que noir. Il y a de la country et du folk, c’est un mélange. Moi, je parle plus d’effacement. Le sens du morceau, c’était de rendre hommage et de rappeler les origines noires du rock", explique-t-elle.

Cette identité noire est un thème central pour cette fille androgyne, qui se présente comme "une anomalie du 93 avec une gueule caribéenne".  Dans la réalité, la rappeuse aux origines martiniquaises a grandi entre Rouen et la Seine-Saint-Denis. Vivant chez l’une de ses tantes, elle a découvert le rap à 13/14 ans, avec un cousin qui l’a initiée à cet art. "Être noir, être la minorité, c’est une expérience qui se raconte. On peut la taire, on peut faire comme si cela n’existait pas... Mais c’est un prisme pour regarder le monde. Si vous êtes l’invisible, si vous êtes la personne à qui on ne pense pas, et qu’on ne reconnaît pas, la lecture du monde dans lequel nous vivons est décentrée", estime Casey. La mémoire de l’esclavage infuse son propos et pour elle, la classe, la race, c’est finalement le même combat.

"La marge est ma complice"

Si Cathy Palenne de son vrai nom, est une voix de la banlieue, le propos d’Ausgang sur l’album Gangrène se fait plus "intérieur". Avec La rage mappelle, elle décrit un personnage "qui a lâché la rampe", se laissant happer par sa violence, tandis qu’Aidez-moi résonne plus comme le cri d’alerte d’un condamné à la solitude.

Pourquoi évoquer frontalement cette invisibilité ? "Je n’ai pas besoin de décrire les gens qui m’entourent, c’est les endroits où je vis. Les gens en errance ou en perdition, c’est toute la journée que j’en croise, ou bien c’est moi qui les vois ? Peut-être que j’ai tendance à m’attarder sur les fêlures, sur tout ce qui est cassé ou ébréché. Tout ce qui claudique, ça me parle, ça me touche", glisse-t-elle. Alors, oui, la musique de Casey et de ses acolytes, est sombre et radicale. Mais la parole de la rappeuse est au contraire empreinte d’une autodérision salutaire. 

C’est comme si, la quadragénaire qui a partagé récemment un spectacle avec Virginie Despentes et Béatrice Dalle, Viril, assumait pleinement tout ce qu’elle est. " La marge est ma complice", dit-elle. Loin des autoroutes du rap - et quand les salles de concert rouvriront, après ce confinement...-,  elle n’a pas fini de "brûler la scène".                                                                                                                           

Ausgang Gangrène (A parté) 2020
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