Matmatah, double dose de rock

Matmatah, 2023. © Lenny Urbain

Ils tiennent bon la barre et tiennent bon le vent ! Matmatah fait paraître, Miscellanées Bissextiles, un double album fleuve à la longueur presque anachronique en ces temps de streaming. Le groupe breton se veut toujours concerné et assume pleinement son statut de groupe rock entre deux âges.

On a souvent collé à Matmatah l’étiquette de rock celtique. Mais le groupe originaire de Brest avait pris un malin plaisir à la réfuter jusqu’ici. Cette fois, les Bretons se sont accompagnés d’un sonneur de bombarde, David Pasquet, et d’un bagad, l’ensemble Kevrenn Alré, le temps d’un morceau fleuve de huit minutes. "C’est une certaine presse parisienne qui a véhiculé cette image. ‘Matmatah et ses binious !’ Mais il n’y a jamais eu un seul biniou dans notre musique, peste gentiment son chanteur, Tristan Nihouarn, alias Stan. D’ailleurs, il n’y en a toujours pas, parce que ce sont des cornemuses. C’est plus classe ! Et puis, on a mis le paquet avec un ensemble de 40 musiciens, par esprit de contradiction !"

Ils sont sans doute moins joyeux qu’avant, mais Stan et ses comparses n’ont rien perdu de ce qui faisait leur sel. Avec Miscellanées Bissextiles, ils composent un double album qui déstabilise à la première écoute. Les longs morceaux ouvrant les deux disques s’inscrivent plus dans la lignée des albums concept du rock des années 1970 que dans le zapping musical de l’ère du streaming. Mais une fois passé ces plages, on retrouve un rock en français et en anglais qui n’a pas trop bougé. Comme on retrouverait un vieil ami, Matmatah a gardé le même son et le même ton.

Un « carnet de bord » des quatre dernières années

Ce sixième disque est un carnet de bord des quatre dernières années. Il traduit par ses humeurs changeantes des temps d’incertitude et de vérités mouvantes. Le paradoxe est que le groupe a jeté tout ce qu’il a écrit sur le coronavirus, partant du principe qu’il n’avait pas de recul nécessaire pour en parler. "Quand on voit la dose de conneries qui ont été déversées à la télé, à la radio, et même écrites, on s’est dit : ‘On ferme notre gueule !’ Parce que c’est tellement facile d’avoir un avis sur tout ! Même des scientifiques ont dit des bêtises, alors, imagine un artiste...On ne savait pas. La question était : ‘De quoi on va parler maintenant ?’ Mais comme le monde n’a pas tellement changé, on a trouvé", assure Stan.

Matmatah mélange les chansons d’amour plus ou moins contrariées (I bet you and I, De l’aventure, Hypnagogia) et évoque sa bonne ville de Brest. La posologie parle de l’usage des médicaments, quand ce ne sont pas des drogues dures, un clin d’œil assez évident à L’apologie (1), célèbre chanson du groupe. "L’apologie donnait un point de vue qui, pour nous, reste irréfutable. Boire, c’est tout à fait mondain, mais quand on fume un pétard, on devient la lie de la société. Aujourd’hui, c’est la pudibonderie sur certains sujets qui m’a fait marrer. Il y a des gens qui sont totalement accros à des choses qui sont délivrées sur une jolie ordonnance. Je trouvais rigolo d’avoir un son qui cache le problème. La chanson ne s’appelait pas La posologie quand on l’a commencée, et puis, ce nom est arrivé. Si nous, on n’a pas le droit de faire ça, personne ne peut le faire !", rigole le bassiste Eric Digaire.

« On n’est pas un groupe politique »

Avec Obscène anthropocène, le groupe creuse une veine écolo et questionne la place de l’homme. Aujourd’hui, Matmatah se voit-il comme un groupe engagé ? "Je préfère le mot concerné, répond Stan. Engagé, ça voudrait dire encarté. On s’est engagé très rarement et on ne le fait plus. On a autre chose à faire. On n’est pas un groupe politique. Si on tape sur les politiques, on tape sur tous. La politique, ce n’est pas le même métier. On ne cherche pas le pouvoir !" Le groupe, dont le cœur penche à gauche, voit plutôt d’un bon œil que ses tubes (Lambé An Dro, Les moutons, La cerise...) soient repris dans les manifestations.

Après dix ans de séparation, il était pourtant revenu en 2017 avec un album plutôt remonté. Reformé autour du chanteur Tristan Nihouarn et du bassiste Eric Digaire, il avait intégré un batteur arrivé en cours de route, un clavier et un nouveau guitariste. Cette fois, c’est Léopold Riou, qui reprend la guitare. Le jeune musicien a fait son baptême du feu l’été dernier, sur la grande scène des Vieilles Charrues. "Notre nouveau guitariste, Léopold, a 26 ans, l’âge exact qu’on avait quand on a commencé. Je m’étais posé la question de savoir si on allait être les sages, et lui, le chien fou. En réalité, je crois qu’il est tout à fait capable d’être plus calme que nous, s’étonne presque Eric Digaire. Comme son père est le chanteur et fondateur d’un groupe, Red Cardell, il a fait son apprentissage en jouant du Robert Johnson, Clapton, Hendrix ou du Jack White, sur sa gratte. Il a bouffé de la musique comme nous l’avons fait."

Reste maintenant à retrouver la vie en tournée. Matmatah assure avoir gardé "la même audace, la même ambition, et la même insouciance" qu’à ses débuts dans les bars de Brest. Ses membres fondateurs n’imaginaient certainement pas continuer à mettre "La Ouache" à la cinquantaine.

(1) L’apologie figurait parmi les tubes de La Ouache, le premier album emblématique de Matmatah. La chanson qui mettait sur le même plan l’interdiction du cannabis et la tolérance face à l’alcool avait donné lieu à un procès retentissant. En juin 2000, chaque membre du groupe avait été condamné à 15 000 francs d’amende pour "provocation à l’usage de stupéfiants" par le tribunal de Nantes. Ironie de l’histoire, deux jours avant notre rencontre, le groupe devait boire un verre pour la promotion de son nouveau disque à l’hôtel Radisson de Nantes. Un hôtel désormais situé dans les locaux de l’ancien tribunal, à l’endroit même où Matmatah avait été condamné.

Site officiel de Matmatah / Facebook / Twitter / Instagram / YouTube