Karkwa rebranche le son

Le chanteur et guitariste Louis-Jean Cormier. © Marc-Etienne Mongrain.

En sommeil depuis le début des années 2010, la formation populaire de rock alternatif et atmosphérique emmenée par Louis-Jean Cormier se reforme pour sortir un cinquième album intitulé Dans la seconde. Nous l’avons rencontrée au Festival de Musique Emergente à Rouyn-Noranda, début septembre, lancement d’une tournée à priori éphémère qui passera à l’automne par la France.

Soudaine et inespérée, l’annonce au printemps dernier a fait frissonner les places tectoniques et trembler les âmes de la Belle Province : Karkwa, si souvent affublé du flatteur - et surtout pas immérité - statut de Radiohead montréalais, repart à l’assaut du studio et de la scène. Douze mille billets écoulés, dans la foulée, en moins de soixante-douze heures. Plus que rassurant sur l’échelle de l’engouement.

Le quintette, composé de Louis-Jean Cormier, François Lafontaine, Julien Sagot, Stéphane Bergeron et Martin Lamontagne, a appuyé sur la touche pause à durée indéterminée à la fin de la tournée de sa quatrième livraison Les chemins de verre. Au sommet. Il venait de remporter en 2010 le réputé Prix Polaris (meilleur album canadien) et reste, d’ailleurs encore, l’unique groupe francophone à avoir décroché la fameuse timbale.  

Cette période qui coïncidait également au bel éclairage offert à l’international par les premières parties d’Arcade Fire. "D’une certaine manière, il y a une forme de panache à s’arrêter quand tout va bien", concède François Lafontaine, le claviériste. Ni heurts ni fracas, encore moins d’incompatibilité d’humeur au moment des "au revoir".

"Karwa, c’était littéralement une espèce de don de soi, un investissement d’une intensité folle. Chacun était positionné à l’intérieur d’un groupe, d’un camion, d’un avion, d’un hôtel, menotté aussi avec le côté financier. Le fait de fonder une famille, ça t’amène à une remise en question, à te demander si tu vas être dépendant de quatre gars toute ta vie. On a fait éclater la bulle", raconte Louis-Jean Cormier.

Au sein de ses contrées, la voix de Karkwa a continué de jouer les prolongations du succès populaire avec ses trois albums en solo. Sagot, le percussionniste, a pris le micro tout en se fondant dans une esthétique plutôt underground. On aura aussi vu Lafontaine aux manettes des albums de sa compagnie Marie-Pierre Arthur ou en force vive du groupe Galaxie tandis que le batteur Bergeron a tracé notamment sa route aux côtés d’Antoine Corriveau et Matt Holubowski. Rangeant sa basse au placard, Martin Lamontagne a opté plus pour une reconversion davantage radicale dans les chantiers de construction. Il dira plus tard : "Je ne sais pas pourquoi, mais je m’étais fait l’idée au fil des années que c’était fini, qu’un retour n’arriverait plus. C’était peut-être une manière de se protéger".

 

Retour des électrons vers l'atome

Assis en cercle au milieu du verdoyant jardin de la maison d’accueil du festival, affables et perceptiblement épanouis d’être ensemble, ces cinq-là n’échapperont pas à la question de l’élément déclencheur. "Le chanteur Philippe Brach, qui avait créé son festival il y a cinq ans, nous a demandé un coup de pouce pour la première édition. Un concert unique, comme l’année précédente pour soutenir Petite-Vallée dont le théâtre avait été ravagé dans un incendie. Sur mon dernier album, François (Lamontagne) est venu en tournée et m’a accompagné sur scène, Stéphane (Bergeron) est venu remplacer mon batteur sur quelques dates. A un moment, tu te rends compte que les électrons reviennent tranquillement vers l’atome et que ça se replace", déroule Louis-Jean Cormier.

Pas question cependant d’actionner un retour sur la base d’un répertoire fixé dans le creux de la nostalgie. La création doit rester le moteur, c’est la seule condition inscrite au cahier des charges. "On est entrés en studio un matin sans savoir ce qu’on allait faire, sans aucun texte ni musique, juste peut-être avec d’autres bagages acquis dans les projets de chacun".

Vingt-huit morceaux, en fin de parcours. Ils en gardent neuf, ceux qui n’auront soulevé aucun point d’interrogation au moment de trancher. Le titre de l’album, Dans la seconde, est en adéquation avec l’état d’esprit du processus. De l’éphémère, de l’instant présent, de l’immédiateté. "Ça ramène aussi à la notion de temps qui a toujours eu une place prépondérante dans nos chansons et à la notion de bascule dans la vie".

Il y a dans les chansons, des regards, des observations, de l’urgence, du trafic. Et en fil rouge, la place de l’humain dans la société actuelle. Textes balisés, moins cryptiques que par le passé, avec pour la première fois un partage de plume entre Cormier et Sagot. L’ADN est intact et même les ballades ouvragées n’excluent pas l’arrivée d’un coup de sang (Miroir de John Wayne).

Le soir même, après des dates de rodage en catimini, Karkwa a lancé officiellement sa tournée à Rouyn-Noranda, chef-lieu de l’Abitibi-Témiscamingue. Le FME (Festival de musique émergente) a privilégié une salle de 500 personnes à la grande scène extérieure. Blindée, évidemment. Presque irrespirable. Et le groupe ouvre par les deux premiers morceaux de l’album (Ouverture, instrumental cinématographique puis Parfaite à l’écran évoquant en filigrane les réseaux sociaux), dégaine son brûlant et indispensable Pyromane, repère implacable de la discographie.

Avec ses nouvelles cartouches égrenées ici et là durant le show, il reprend surtout son plan de frappe là où il l’avait laissé : dans les assauts de large amplitude, en ruptures rythmiques entre pure substance sonique et cavalcades fouettées, à califourchon entre longs échevelés instrumentaux, psychédélisme venimeux et palpitations des chairs humaines.

Karkwa Dans la seconde (Simone Records) 2023

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