Fabregas, la rumba pour renaître
Affilié à la "cinquième génération" de chanteurs de rumba congolaise, Fabregas Le Métis Noir s’est fait une place en une décennie sur son continent natal et auprès des communautés africaines à travers le monde, comme en témoigne l’agenda de ses prestations. Avec les deux volumes de son nouvel album Gomme, il entend tirer un trait sur ses récents déboires et tourner la page des défections surprise de musiciens durant les tournées, pour mieux rebondir.
Les mots sont directs. "Ce qui m’est arrivé, je ne le souhaite pas même à mon pire ennemi", lâche Fabregas Le Métis Noir. Fin 2021, après un concert à Lyon, en France, une partie de ses musiciens venus de Kinshasa avec lui prend la poudre d’escampette. Quelques mois plus tard, rebelote, alors qu’il effectue sa première tournée aux États-Unis. Au total, dix-huit personnes de son équipe s’évanouissent dans la nature du jour au lendemain sans prévenir, avec les conséquences que l’on imagine à la fois sur le plan artistique, mais aussi de la responsabilité morale vis-à-vis des autorités des pays qui ont délivré les visas. Comment rester crédible à l’avenir et assurer que tout le monde remontera bien dans l’avion au moment de rentrer au pays ?
L’ex-protégé de Werrason n’est pas le premier à connaitre pareille mésaventure. À dire vrai, le phénomène n’est ni nouveau ni isolé dans la musique congolaise. "C’est arrivé à tous nos grands artistes ; c’est un moyen pour moi de m’inscrire dans cette grandeur", relativise le trentenaire qui ne cache pas que l’épisode a été "quand même douloureux" : voir ainsi déserter "des gens qui tu estimais, en qui tu as investi, avec qui tu as partagé des sentiments d’amitié, de fraternité" laisse forcément des traces.
Sans détour, il confie que son nouvel album a été réalisé "avec beaucoup d’amertume". Mais pour "nettoyer ce qui s’est mal passé, se projeter vers l’avenir et voir les choses du bon côté", il a effacé toute la séquence d’un mot, devenu le titre du projet discographique : Gomme. Dans l’adversité, il a découvert en lui "un nouveau Fabregas" dont il ne soupçonnait pas l’existence. "Un combattant, un stoïque", rigole-t-il.
Pour remonter la pente, il insiste sur le rôle joué par son public. "J’ai les meilleurs fans au monde", répète-t-il, reconnaissant volontiers au passage avoir pris conscience de la réalité de ce soutien dans ces circonstances particulières : "Quand j’étais KO et qu’ils ne me voyaient pas sur les réseaux sociaux pendent deux jours, ils me disaient : 'Papa Moellon [son surnom, NDR], annonce-toi ! On veut t’entendre ! Lève-toi !'" De quoi retrouver une certaine motivation.
La voix du peuple
Il restait à reconstituer les effectifs de sa formation Villa Nova pour l’accompagner sur scène comme en studio. Là encore, Fabregas s’est en partie appuyé sur sa fan base. À l’Espace Amarilys de Station Ma Campagne, en plein Kinshasa, il a procédé au recrutement : des tests "en live" avec en guise de jury "ceux qui avaient acheté les tickets pour venir donner de la force aux répétitions". L’homme voit des vertus démocratiques à ce modus operandi. "J’ai suivi la voix du peuple", estime le chanteur.
"La nouvelle collection rumba" réunie sur cet album Gomme, décliné en deux volumes parus à quelques semaines d’intervalle, répond aussi à l’envie d’honorer ce genre musical inscrit au patrimoine immatériel de l’UNESCO en 2021. Fabregas n’avait pas encore eu l’occasion de le faire, son précédent album Cible - Mise à jour (en deux volets également) datant de 2019.
Pour lui, cette reconnaissance internationale est plus que symbolique : elle officialise la valeur de cette musique qui a traversé les frontières. "C’est comme passer à la mairie quand tu es en couple", compare Fabrice Mbuyulu, son nom à l’état civil. "Ça nous fait comprendre que les ainés nous ont légué quelque chose et, à notre tour, on a intérêt à assumer et assurer, habiller la rumba de manière exceptionnelle", poursuit-il en citant quelques-uns des prestigieux devanciers : Joseph Kabasele, Tabu Ley Rochereau, Papa Wemba, Koffi Olomidé…
Parcours
Élevé dans la foi chrétienne au sein d’une famille où les parents ont des responsabilités à l’église, il fait partie de la chorale Saint-Alphonse où il réalise que sa voix fait sensation : "Quand on a donné un concert à Saint-Thomas à Kisenso, j’ai vu des gens enlever la chemise, pleurer… C’était compliqué dans ma tête", se souvient-il. Idem au collège où le prof de musique l’emmène de salle en salle pour que chacun écoute ses vocalises. Résultat : "À la récréation, j’étais devenu la star de l’école. On m’achetait à boire, à manger…"
Lui qui écoutait à la maison aussi bien Michael Jackson que Reddy Amisi, ancien de Viva la Musica, a commencé dans la "musique profane" avec Laviniora Esthétique alors qu’il avait autour de seize ans. Pour retenir l’attention de Dakumuda New Man, leader de cet orchestre qui bénéficiait d’une audience nationale, il doit d’abord composer avec sa condition d’écolier : les deux premières fois, les répétitions commencent trop tard dans la soirée et il doit repartir dans son quartier de Matete avant d’avoir pu s’exprimer. La troisième sera la bonne !
Dans son parcours, il y a aussi un rapide passage par F’Victeam de Fally Ipupa, avant d’intégrer Wenge Musica Maison Mère emmené par Werrason, l’une des stars de ce qu’on appelle la "quatrième génération" de la rumba et qu’il qualifie de "mentor". Lorsqu’il en part et commence une carrière solo en 2012, avec Amour Amour, il ne lui faut guère de temps pour s’imposer. On le demande en Angola, puis ce sera le Gabon, le Cameroun, la Guinée, la Côte d’Ivoire…
L’an dernier, tandis qu’il enregistrait à Abidjan pour Sony avec qui il a signé un contrat en 2020, Fabregas s’est d’ailleurs associé le temps d’un featuring au quatuor Révolution, valeur montante du zouglou ivoirien soutenue par la même major. S’il a choisi d’ajouter "Le Métis noir" en apposition à son nom de scène, c’est justement pour revendiquer une forme de métissage musical. Sur l’album Gomme, il le rappelle en particulier à travers la chanson Señorita, quelque part entre Gims et Kendji Girac. Un avant-goût de son album de "musique urbaine" attendu pour la fin de l’année ?
Fabregas Le Métis Noir Gomme (Sony Music) 2023
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