Révolution, le zouglou autrement
Porte-drapeaux de la nouvelle génération zouglou qui n’a pas suivi exactement les traces de ses aînés parce qu’elle n’a pas vécu dans le même contexte, les quatre chanteurs de Révolution suivent une ligne artistique qui reflète les évolutions actuelles de ce genre musical sur la scène locale. À travers leur 5e album, Boîte automatique, ils défendent leur différence et mettent en pratique leurs convictions.
Ils voulaient être "avant-gardistes", avec un nouvel album intégralement numérique, et imaginaient que les modes de consommation de musique en Côte d’Ivoire en 2022 avaient changé pour ne laisser plus qu’une place symbolique au bon vieux CD physique. Mais voilà, en quelques jours, les 3000 exemplaires que les quatre membres de Révolution avaient tout de même prévu de fabriquer se sont écoulés ! Rupture de stock. "On savait qu’on était attendu parce qu’on n'avait rien sorti depuis quatre ans, mais on avait sous-estimé le phénomène", reconnaissent-ils volontiers, prenant soin de préciser sur leur page Facebook que tout était fait pour remédier à cette pénurie temporaire.
L’idée d’intituler leur nouveau projet Boîte automatique fait écho à leur volonté d’avoir entre les dix-sept chansons qui le composent une fluidité qui rappelle le passage des vitesses sur un véhicule automatique : faire en sorte d’aller "d’un style à un autre, d’une émotion à une autre sans vraiment s’en rendre compte", à commencer par un titre en anglais, Jour de mariage, en guise de première vitesse. "Les Nigérians s’essaient bien au français, et ça donne quelque chose d’intéressant. Alors on s’est dit qu’on allait mettre de l’anglais dans le zouglou", justifie Prométhée, présenté comme "le leader vocal du groupe".
Si, avec Le Créateur, le quatuor explique s’être inspiré d’une rythmique d’Afrique du Sud, la dimension "panafricaine" de l’album qu’il revendique fait aussi référence à l’influence congolaise. Par le jeu de guitare, qui apporte sa couleur si caractéristique en de multiples endroits, mais aussi par la pratique du libanga, ce name dropping musical que Révolution intègre à son chant pour la première fois, mais que les artistes de RDC ont poussé à son paroxysme et qui suppose souvent une contrepartie financière.
Symbole de cet axe entre les deux pays, Abidjan Kinshasa résulte d’une association avec le chanteur congolais Fabregas Le Métis noir, rencontré dans les studios de leur maison de disques à Abidjan. "On répétait juste à côté et quand il nous a vus, il a appelé ses musiciens en leur disant qu’on était les gars qui chantent Je bois plus. Ensuite, on a écouté le titre qu’ils étaient en train de faire. On a trouvé ça intéressant, il nous a invités à poser dessus et il nous l’a offert", explique Prométhée.
Une autre vision du zouglou
Depuis son arrivée sur la scène musicale ivoirienne en 2010, son groupe propose une autre vision du zouglou que celle qui prévalait jusqu’alors. À la différence de leurs aînés, Prométhée, Isso, Saï Saï et Zokora ne sont pas passés par "l’ambiance facile", cette étape acoustique (voix, percussions avec des bouteilles…) qui fait souvent figure d’école du zouglou. "Faute de formation, faute de transmission aussi, la jeune génération n’a pas gardé tout le bagage de cette culture-là. Mais il y a tout de même cette possibilité de chanter zouglou, de composer zouglou, de conserver la façon zouglou de démonter et remonter un thème", assurent-ils.
Les préoccupations de leurs devanciers – souvent des étudiants aux revendications sociopolitiques liées à leur époque, comme l’incarnait le groupe fondateur Les Parents du campus – ne sont plus les leurs. "Tu ne vas pas revêtir la veste de guerre de de ton père et te faire les mêmes ennemis que lui parce que tu as juste envie d’hériter", résume efficacement Prométhée, qui veut développer la dimension festive du zouglou, dont il déplore l’absence dans les mariages ou les anniversaires en raison des paroles trop souvent axées sur "les galères, la cherté de la vie, le chômage…"
Aux orthodoxes du zouglou, les membres de Révolution répondent qu’"il faut faire évoluer les choses", quitte à essuyer quelques critiques parce qu’ils cassent les codes, tant sur le fond que la forme. N’oublie jamais, le duo avec leur compatriote Kerozen sur Boîte automatique, opère un rapprochement avec le coupé décalé fréquemment opposé au zouglou, pour montrer que ces frontières relèvent de principes parfois dépassés.
Déjà en 2019, quelques jours à peine après l’accident mortel de DJ Arafat, roi du coupé décalé, ils s’étaient associés au duo Magic Diezel pour un hommage baptisé Le Maître du game. "C’était un grand bavard, au sens figuré. Lorsque quelqu’un comme lui disparaît, ça laisse un vide et on a voulu marquer nos regrets à travers cette chanson", précisent-ils.
Nouvelle génération
Considérés comme les chefs de file de la nouvelle génération zouglou, les quatre garçons de Révolution sont convaincus que "les collaborations font vivre une musique" et à ce titre essaient d’insuffler un esprit collectif qui, selon leurs dires, fait défaut au genre auquel ils appartiennent, alors que "les Nigérians se serrent les coudes", eux qui ont été "les protégés des Patrons", après avoir tapé dans l’œil d’un des chanteurs du groupe, savent ce que peut apporter le soutien d’artistes déjà établis.
Avec ces prestigieux parrains qui les ont d’abord fait jouer en première partie de leurs concerts, ils ont ensuite enregistré Chagrin d’amour dont le succès a lancé leur carrière en 2011. Une décennie plus tard, conscients de leur notoriété et des responsabilités qui leur reviennent, ils ont à cœur de partager le zouglou avec ceux qui le défendront demain.
Révolution Boîte automatique (Sony Music) 2022
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