Kassav' côté latino

Kassav © DR

Avoir inventé un style musical, le zouk, l'avoir propagé d'un continent à l'autre, avoir vendu des milliers de disques et fait des centaines de spectacles... il faut croire que cela ne leur suffisait plus. Les cinq musiciens de Kassav revoient et corrigent leur répertoire, façon cubaine. Le nouvel album, "Un toque latino" est sorti le 17 novembre chez Sony. Un virage très net pour le groupe antillais qui fêtera l'année prochaine ses vingt ans d'existence. Rencontre avec Jocelyne Béroard, la voix féminine de Kassav.

RFI Musique : Vous êtes allés spécialement à Cuba pour enregistrer ce nouvel album, à consonnance très latine. Comment l'enregistrement s'est il déroulé ?
Jocelyne Beroard :
Très bien, nous y sommes allés en octobre 1997. Nous avons travaillé avec l'élite locale des ingénieurs du fameux studio EGREM, celui où ont enregistré toutes les grandes stars cubaines. Et même si le studio et ses infrastructures ont souffert du manque d'argent ces dernières années, la force artistique, elle, est toujours bien présente.

Et remixé à Miami, en Floride ?
Oui dans les propres studios de Gloria Estefan, "Crescent Moon", avec son ingénieur du son Javier Garcia. Deux des titres, "O Madiana" et "Dejame disparar", ont été remixés, eux, par Pablo Flores, un DJ portoricain découvert par Emilio et Gloria Estefan et qui a officié sur le "Un, dos, tres" de Ricky Martin.

Mais le zouk doit-il être latinisé, car vous chantez en espagnol et non plus en créole ?
D'une certaine façon, la musique de Kassav existe déjà dans sa version latine, mais réorchestrée et jouée par d'autres... Je veux dire par là que nous sommes très régulièrement repris par des artistes sud-américains qui traduisent en espagnol nos titres originaux. Il était normal que nous réagissions. C'est donc aussi une stratégie commerciale car si nous avons beaucoup tourné en Afrique et en Europe, nos titres sont très appréciés aussi en Amérique latine.

En chantant en espagnol, vous espérez conquérir un nouveau marché ?
Oui bien sûr. Avec "Un toque latino", nous comptons bien nous imposer sur le marché latino-américain et par extension au nord-américain. C'est aussi une réponse à des artistes comme Chayan qui, lorsqu'il reprend en version salsa "Syé Bwa", en vend deux millions d'exemplaires. On se retrouve souvent à se justifier, comme lors d'une récente tournée en Bolivie et au Chili, et de devoir dire, en promo radio, que nos morceaux sont originaux, que ce ne sont pas des reprises de ce qu'ils ont déjà entendus... S'ils restent fermés à notre zouk et à notre créole mais qu'ils adoptent toujours nos mélodies et nos chansons, autant les faire nous-même, non ?

Si certains morceaux ont été réarrangés, les autres gardent une base zouk ? Oui, seulement trois des titres ont été totalement réécrits, avec une base salsa. Nous gardons quand même la couleur zouk, qui est, ne l'oublions pas, notre spécificité. Nous n'avons pas fait cet album pour montrer aux Sud-américains que nous sommes capables de jouer de la salsa aussi bien qu'eux. Il s'agit plutôt d'une rencontre des deux musiques. Nous apportons une variation à leur salsa. C'est plus un clin d'œil. Notre but étant quand même aussi de faire aimer notre zouk aux salseros.

N'avez-vous pas été tenté de céder à la mode, à l'heure où la musique cubaine déferle partout ?
Pas vraiment. Vous savez, aux Antilles, on n'a pas attendu la mode latino pour écouter de la salsa. On a tous, pendant notre jeunesse, beaucoup écouté cette musique-là ainsi que la musique haïtienne, comme le compas.

Qui comptez-vous séduire avec cet album ?
Si au départ, l'idée était de faire un album pour les Sud-américains, on s'est aperçu très vite que les Antillais ne seraient pas indifférents à un album qui mélange zouk et salsa. Non, ce qui m'effraie, c'est que les modes passent... mais notre musique, elle, est bien là, vivante. Le zouk a maintenant ses déclinaisons avec le zouk-love, sur un rythme plus lent.

Vivante, et elle-même issue de mélanges ?
Oui, car avant l'arrivée du zouk, les Antilles étaient dominées par la musique haïtienne. Nos musiques traditionnelles n'étaient que folkloriques ou venaient d'Europe. Même les bons groupes imitaient les Haïtiens ou se débattaient lorsque ceux-ci étaient absents. Avec Kassav, nous avons essayé de créer une nouvelle musique qui serait la synthèse de ce que nous avions consommé depuis notre enfance. Au départ, nous sommes allés chercher dans la tradition avec les percussions ajoutées aux apports extérieurs... Le zouk est issu de tant d'autres musiques, de la mazurka, à la biguine, au boléro, et il a puisé dans tellement de styles différents qu'il ne serait pas étonnant que demain apparaisse aussi un zouk-raï, un zouk-jazz, un zouk-mazurka. Pourquoi pas du zouk-latino. Rien n'est interdit. C'est une musique qui n'est pas figée.

"Un toque latino" est d'ailleurs un savant dosage de zouk et de salsa. Comment s'est faite la répartition et le choix des titres ?
Nous avons jeté un regard sur toute la carrière de Kassav, pour ne retenir que les morceaux les plus marquants, c'est un véritable best of. Deux titres sont restés tels quels, en créole, comme par exemple "Zouk la sé sel médikaman nou ni" qui a, et reste toujours un énorme succès. "Siwo" (NDRL : premier album de Jocelyne Beroard, Disque d'or) lui est devenu "Malo, malisimo".

C'est Etienne Roda-Gil, parolier entre autres de Julien Clerc, qui a collaboré à la ré-écriture de vos titres. Est-ce une traduction littérale du créole ?
Je dirais plutôt une transposition. Les origines catalanes d'Etienne, doublée de sa culture musicale hispanique ont fait le reste. Nous lui avons donné les grands thèmes de nos chansons, et il s'est inspiré de l'esprit général de notre musique pour écrire ses propres textes. Sans faire de l'exotisme à outrance.

Les cinq membres de Kassav, Jacob Desvarieux, Patrick St Eloi, Jean-Philippe Marthely, Jean-Claude Naimro et vous-même ont toujours mené des carrières solos en parallèle.
En fait dès l'année 82, lorsque le groupe a trouvé sa structure définitive. Nous avons chacun d'entre nous, enregistré des albums solos parallèlement à ceux de Kassav. C'était aussi pour installer notre style, le zouk, et pour occuper le marché avec le plus de déclinaisons possibles. La dernière, c'est cet album-clin d'œil à la salsa.

Kassav' Un toque latino (Columbia) 1998