Daniel Chenevez se mue en chanteur
Autrefois dans l’ombre de la chanteuse charismatique Muriel Moreno au sein du duo Niagara, Daniel Chenevez est devenu un artiste solo au début des années 2000. Il trouve avec six nouvelles chansons un moyen de s’affranchir de son profil de musicien timide au micro. Avec Erotisme, Cantique 25.7 , il aborde avec poésie et charme le jeu de séduction et le ballet des sentiments complexes qui rythme nos vies.
Daniel Chenevez est exigeant, "je suis capable de refaire une chanson mille fois jusqu’à ce qu’elle me plaise". On a là un musicien polymorphe, vidéaste de ses propres fantasmes, usant d’une palette de couleurs musicales d’une grande richesse. L’amateur de production de haute-précision, ce fou de musique capable de citer ses héros classieux (Schönberg, Berg, Von Webern et Béla Bartók), ses maîtres de la musique concrète (Pierre Henry, Pierre Schaeffer...) tant observée et de disco, newwave, post-punk, avouez que ce n’est pas courant.
Il y a dans ces six nouveaux morceaux un patchwork de sons issus de la musique classique, de la musique expérimentale, de l’atonalité. On sent la marque de Gainsbourg avec le titre Rien ne résiste, avec cette basse funk feutrée, cet orgue d’église et ses envolées de breakbeats lancinants. Sans raison aucune peut servir à jouer des coudes sur le dancefloor ou sur les ondes.
Les chansons de Chenevez sont des fresques sonores virevoltantes et mélodieuses. Chenevez chante le français direct de Daniel Pennac, comme Morrissey promeut la clarté maligne d’Oscar Wilde. Le ton posé pour faire exploser l’érotisme des images est un exercice de style réussi. Le Lorrain, un temps rennais, frappe donc un grand coup en retrouvant un terrain de jeux abandonné un temps aux complices bretons Etienne Daho ou Miossec, dans un genre plus organique.
Un vrai chanteur
Daniel Chenevez s’assume donc comme chanteur et c’est la vraie nouveauté. Un baryton capable d’être une voix de tête. L’ancien homme à tout faire du duo rock Niagara continue par ailleurs de faire tout, tout seul, d’aller à l’essentiel financièrement et de compter sur un minimum d’aide extérieure.
On est loin des budgets dispendieux de la maison de disque de Niagara pour les meilleurs studios et la caméra 35 mm de rigueur pour tourner les clips. "Dominique Blanc-Francard a été l’oreille extérieure pour cet EP. C’est lui qui a mixé les chansons mais tout le reste fut produit dans mon studio. J’ai fait quelques séances au studio ICP à Bruxelles pour l’enregistrement d’instruments acoustiques."
Pour Daniel Chenevez, il n’y a pas beaucoup de différences avec ce que font les autres musiciens plus jeunes qui débarquent aux avant-postes ces dernières années. "Beaucoup de musiciens, avec la crise, se sont retrouvés à être aussi ingénieur du son. L’externalisation des services est passée par là. Avant les labels faisaient appel à des producteurs, des vidéastes mais la vidéo, je l’ai faite moi-même en numérique, ça coûte moins cher qu’en 35 mm."
Daniel a passé le plus clair de son temps à écouter de la musique, à se laisser surprendre, à avoir envie de reproduire ce qu’il absorbait avec délectation "l’école de Vienne surtout, atonale, dissonante... puis, j’ai évolué en jouant du post-punk, en chantant. A l’époque, j’étais surtout un musicien appréciant de me retrancher derrière les instruments. Le temps a fait son travail et je me suis retrouvé sur cet EP à vraiment aimer le chant..."
"Parler d’érotisme de manière poétique"
Dans un effort nommé Erotisme, Cantique 25.7, le chanteur prend donc du plaisir à parler de sexe avec habileté artistique, avec envie de se démarquer du tout-à-l’égout virtuel qu’est la musique ultra-sexualisée, véhiculé par les clips sur internet. "On est à deux clics d’une fellation, d’une chanteuse qui se masturbe dans une vidéo. Ce n'est pas que je suis contre ça. Je peux trouver ça bien mais je voulais contrecarrer la facilité, parler d’érotisme de manière poétique dans une configuration pop."
Et les images de la Fontaine de Trevi en fusion dans l’alcôve du narrateur d’Alors la nuit viennent mettre nos sens en émois. L’approche artistique dansante, sautillante, galvanisante de l'EP caresse toujours les mêmes espoirs de faire les corps se mouvoir en tempo. Les breaks électro-dance des Ting-Tings chahutent les violons de l’Orchestre de la Radio Macédonienne et ses 32 cordes. Magistral! Certes, l‘assemblage est complexe mais le tout semble très fluide. "J’aime la dancemusic. Il y a une coloration funk à certains de mes morceaux. C’est si facile d’écrire quelque chose de déprimant... mais chanter quelque-chose de dansant et positif n’est pas la plus simple des formules." Surtout quand on y ajoute des instruments classiques!
A la question d’une reformation de Niagara, Daniel ne se dédouane pas. Même si l’amitié avec Muriel Moreno est toujours bien réelle, leurs chemins artistiques ont pris des voies (voix?) différentes. Chenevez, le séducteur n’est plus l’auteur-compositeur de l’ombre mais le porte-voix d’une électro-pop orchestrale, sensuelle, savoureuse et il est heureux seul aux manettes.
Daniel Chenevez Erotisme, Cantique 25.7 (Acide Music) 2014
Site officiel de Daniel Chenevez